Schématiquement, deux grands systèmes sont concevables.
Succession à la personne.
Ce n'est jamais que la traduction sur le plan juridique d'une idée très ancienne et très ancrée dans de nombreuses civilisations : celui qui meurt continue à vivre à travers ses descendants. (Dans certaines traditions, on murmure à l'oreille du nouveau-né le nom d'un ancêtre dont il sera la réincarnation.) La biologie a confirmé la justesse de cette conception : après tout, nos cellules génétiques qui, unies à celles de notre partenaire, se sont combinées pour former nos enfants, sont les seules qui ne mourront pas avec nous et auront l'éternité, puisqu'elles seront transmises à leur tour grâce à eux.
Le principe de succession à la personne transpose sur le terrain du droit cette idée de réincarnation du défunt dans sa famille. Le disparu se survit dans ses héritiers qui recueillent ses biens, continuent son nom, doivent respecter ses engagements. Le successeur s'identifie littéralement à son auteur. Techniquement, ce système se traduit par le droit pour l'intéressé d'entrer avec un minimum de formalités en possession de ce qui est à lui, dès le décès (c'est ce que traduit notamment l'institution de la saisine). Prenant la place du défunt, il recueille son actif, mais aussi ses dettes, dont il répond intégralement, même sur ses anciens biens personnels, désormais confondus avec ceux qu'il vient de recevoir. Son obligation au passif est intégrale, même si ce passif est d'une valeur supérieure à celle de l'actif recueilli : on dit qu'il est tenu ultra vires successionis (au-delà des forces de la succession).
Succession aux biens.
Conception absolument différente. Au décès, la succession demeure autonome. Elle constitue une sorte de patrimoine d'affectation. Une liquidation rationnelle est organisée, un peu à l'image de ce qui se passe quand une société commerciale est dissoute ou qu'une entreprise est déclarée en cessation des paiements (si ce n'est qu'ici, l'actif normalement l'emporte). Un personnage qui est d'ordinaire un professionnel, du moins pour les successions ayant un peu d'importance, fait l'inventaire des biens, appelle les créanciers successoraux à se manifester, et les paie à concurrence de l'actif, en commençant par les éléments les plus facilement mobilisables (argent liquide, valeurs). Une fois cet actif épuisé, les créanciers ne peuvent rien réclamer de plus aux héritiers. Le solde net est distribué à ces derniers.
Le poids des traditions : « le mort saisit le vif ». Le modernisme de ce dernier système (qui est, notamment, celui de la common law) peut séduire face à l'apparent archaïsme du précédent, mais ce serait commettre une lourde erreur que de raisonner sous l'angle purement technique, en oubliant les données sociologiques, toujours très influentes en droit de la famille. La prise en main des biens du défunt par son successeur et la confusion des patrimoines qui en résulte sont inhérentes à notre civilisation, tout comme le sentiment chez ce successeur de continuer le mort et son hostilité à toute ingérence étrangère. Le principe que l'héritier entre sans formalités en possession de son héritage résulte de l'article 724 ; la règle corollaire qui lui fait supporter le passif ultra vires successionis a été réaffirmée par la loi du 23 juin 2006 dans l'article 785.
Conséquence : la date fondamentale d'ouverture de la succession.
C'est la suite essentielle du principe de succession à la personne. Un rôle primordial est attaché au moment du décès qui provoque l'ouverture de la succession. Il n'y a pas d'hiatus. Dès la seconde où l'un meurt, l'autre prend sa place. Il en découle d'importantes conséquences :
- Les héritiers ab intestat disposent de la saisine qui leur permet d'entrer sans formalité aucune en possession des biens héréditaires, sitôt la succession ouverte. Cette faveur n'est cependant pas reconnue aux légataires qui tiennent leur titre du testament et non de leur parenté par le sang (sauf au légataire universel en l'absence de réservataires, lequel est alors un véritable héritier testamentaire).
- C'est à la date d'ouverture de la succession que rétroagit l'option des successibles. L'acceptant confirme sa vocation ; le renonçant est supposé n'avoir jamais été héritier (art. 805).
- La fixation des phénomènes successoraux au jour du décès a amené les rédacteurs du Code civil à vouloir gommer au maximum indivision et partage. Ce dernier est revêtu de l'effet déclaratif, aux termes du célèbre article 883 du Code civil : quand il a eu lieu, l'indivision est comme effacée et chaque attributaire est présumé rétroactivement être propriétaire des biens mis dans son lot depuis le jour de l'ouverture de la succession. De la même manière, c'est au jour du décès, non à celui du partage, qu'on se placera pour calculer la réserve et la quotité disponible et apprécier si les libéralités faites par le défunt étaient raisonnables ou excessives (art. 922).
Cette volonté de minimiser l'indivision et le partage n'a pu cependant se maintenir aussi fortement qu'on l'avait souhaité en 1804. L'indivision (dont les rédacteurs du Code civil pensaient qu'elle durerait peu de temps) se prolonge parfois de longues années durant. Après la jurisprudence, le législateur a dû lui donner un statut par la loi du 31 décembre 1976 (art. 815 et s.), refondue par celle du 23 juin 2006. D'où les difficultés d'application d'un système qui valide l'indivision et les actes qui s'y accomplissent tant qu'elle dure, mais prétend les effacer quand elle a pris fin.
De la même manière, l'érosion monétaire s'est opposée à ce que l'estimation de la succession et des lots issus du partage continue à se faire sur la base des valeurs au jour du décès, comme on l'avait décidé en 1804, en période de prix stables, parce que rattachés à l'étalon or. Il faut prendre en compte la valeur des biens à la date la plus proche de celle où ils sont effectivement répartis entre les héritiers, celle du partage (qui se trouve dès lors jouer un rôle concurrent). Cette solution, déjà présente dans la loi du 3 juillet 1971 pour les règlements successoraux en présence de libéralités, devient générale après la réforme de 2006, aux termes de l'article 829 nouveau, d'autant plus important que l'égalité entre héritiers est désormais non plus en nature, mais en valeur.
- C'est enfin la date d'ouverture de la succession qui règle les problèmes de conflits de lois dans le temps. Les droits des héritiers sont définitivement fixés par les textes en vigueur au jour du décès, même s'ils sont modifiés avant le partage. On a vu que l'article 25 de la loi du 3 décembre 2001, ainsi que celle du 23 juin 2006, réaffirmaient, pour l'essentiel, cette solution classique (3).
Tempéraments : hypothèses de succession aux biens. A) Depuis l'origine du Code civil, les dangers possibles dus à l'existence d'un passif excessif sont cependant corrigés grâce au droit reconnu à l'héritier de renoncer à la succession (il y devient étranger) ou de l'accepter dans les seules limites de l'actif. En ce dernier cas, on procédera à une liquidation séparée (pour laquelle il y a survie fictive, sinon du défunt, du moins de son patrimoine). A défaut d'une véritable succession aux biens, on assistera à un règlement du passif successoral à seule concurrence de son actif. Sous son ancien nom d'acceptation sous bénéfice d'inventaire, cette technique était peu utilisée, en raison de son archaïsme, de son coût (l'intervention du tribunal était souvent obligatoire) et de ses imperfections. La loi du 23 juin 2006 l'a refondue en la modernisant sous le nom d'acceptation à concurrence de l’actif net, sans l'aligner toutefois sur le régime des procédures collectives, comme on l'avait un temps envisagé. Il est trop tôt pour dire si cet effort portera ses fruits.
B) Les réformes récentes ont multiplié ces cas où la dette n'est due que dans les limites de ce que la succession permet : nous verrons, par exemple qu'il en est ainsi pour l'obligation au paiement des legs de sommes d'argent (5), ou encore la charge d'aliments pesant sur le conjoint survivant au profit des ascendants du défunt dans le besoin ou sur les héritiers du sang recueillant une succession au profit du conjoint dans la même situation de détresse .
C'est dans le même esprit que la loi du 26 mai 2004, réformant le divorce, a mis fin à une injustice, dénoncée depuis longtemps : lorsque le débiteur d'une prestation compensatoire, versée sous forme de rente, venait à mourir, ses héritiers, continuateurs de la personne, devaient en continuer le service ; on voyait ainsi la seconde épouse restant tenue à l'égard de la première ! Le nouvel article 280 du Code civil dispose au contraire « qu'à la mort de l'époux débiteur, le paiement de la prestation compensatoire, quelle que soit sa forme, est prélevé sur la succession. Le paiement est supporté par tous les héritiers, , qui n'y sont pas tenus personnellement, dans les limites de l'actif successoral ».