Europe du III eme millénaire - entre le pathos de l’unification juridique et la trauma des identités. Courtes considérations sur le fédéralisme judiciaire européen.
Une des réalités incontestables de ce nouveau siècle et millénaire est que la vie privée des individus ne peut plus être conçue à l’intérieur des frontières nationales des Etats.
Pour des années on naissait et mourrait dans le «périmètre» du même système de droit. La vie même s’écoulait sur le territoire d’un certain Etat. Dans ces circonstances, la citoyenneté évoquait non plus seulement notre appartenance à une certaine unité étatique, en nous transformant dans ses « ressortissants », mais dans la même mesure, l’appartenance à un certain système de droit, plus précisément au système de droit de l’Etat concerné.
Le phénomène de la globalisation la circulation de plus en plus intense des personnes, facilitée par le développement des moyens modernes et rapides de transport, l’expansion du commerce international, la liberté d’etablissement dans d’autres pays, Tintemet comme nouveau moyen de communication et engagement juridique - voir même en tant que «moyen alternatif de vie» - ont conduit à l’internationalisation du circuit privé.
Les rapports entre le droit privé et le droit communautaire ont une nature et des implications distinctes selon la matière en cause. Dans le domaine des rapports économiques, la diversité des législations privées nationales représente sans aucun doute un obstacle dans la voie de la réalisation du marché unique. Sous l’influence communautaire, le statut professionnel des operateurs économiques tend s’approcher d’un Etat à l’autre, et dans cette logique est apparu le principe du pays d’origine, et l’hannonisation communautaire du droit des sociétés commerciales est assez évoluée. La ressemblance des législations privées nationales ne concerne cependant pas seulement les operateurs économiques, mais aussi les rapports entre eux, et le droit communautaire sont intervenu
pour changer des aspects significatifs dans les droits des obligations, des contrats ou du droit judiciaire privé. Dans le domaine du droit des personnes et de la famille, la législation communautaire a eu initialement seulement un rôle indirect er subsidiaire, son influence étant ressentie comme un effet du jeux des libéralités fondamentales affirmées par les Traités; comme l’unification des législations des Etats membres dans des domaines qui reflètent des particularités nationales n’est ni opportune et non plus nécessaire, le droit communautaire intervient à présent en assurant leur coordination par l’intermédiaire des règles uniformes de conflit de lois ou juridictions.
Par l’élargissement des domaines d’intervention du droit communautaire et par un effort de réflexion sur le sens du procès législatif, à compter 1985 les institutions communautaires ont modifié profondément leur politique législative, avec une intervention plus ample dans le domaine du droit privé. Le but visé de ce changement est triple : restreindre les obstacles de la voie du commerce intra-communautaire (comme une implication de la théorie de l’économie de marché), l’atténuation des atteintes portées à la libre concurrence entre les operateurs économiques, atteintes causées par la disparité entre les législations nationales, la circonscription de l’ampleur de la charge d’approchement des législations nationales nécessaires pour le bon fonctionnement du marché intérieur. Le résultat de ces démarches s’est matérialisé par la création d’un corpus de normes de droit privé européen communes à tous les Etats membres de l’UE, le renouveau du droit privé des Etats membres ; le problématique de l’utilité et de la légitimité de cette démarche, de ses modalités de réalisation, de ses conséquences, des perspectives de son évolution prochaine doivent préoccuper aujourd’hui tout juriste roumain.
Le problème essentiel: comment aborder la rencontre entre le droit communautaire et le droit privé dans les Etats membres; quelques aspects de méthode devront être clarifiés au préalable.
Premièrement, le problématique des rapports entre le droit communautaire et le droit privé devra être traitée en faisant la distinction entre le domaine économique et le domaine des personnes et de la famille. Dans le premier cas, la vocation du droit communautaire d’intervenir pour l’uniformisation ou l’harmonisation des législations nationales est incontestable, par le fait que ces législations économiques représentent un facteur de diversité et donc un obstacle pour la réalisation des objectifs du traité (l’accomplissement du marché intérieur, l’assurance de la libre concurrence). Par contre, dans le deuxième cas, le droit national reste en grande mesure autonome, plus à l’abri de l’intervention communautaire, pour raison qu’en fait la construction communautaire n’est pas influencée que de façon marginale, exceptionnelle par les règles nationales du domaine du droit des personnes ou de la famille, d’autant plus que dans ce domaine on voit se manifester avec de l’intensité les identités nationales, dont le respect est garanti par l’art. 6 §3 du Traité de l’UE.
Deuxièmement, une autre distinction devrait être faite selon la modalité d’intervention du droit communautaire sur le droit privé national, selon le type d’harmonisation pratiqué. L’harmonisation directe, opérée par le législateur communautaire, est en essence fragmentaire: les textes sont dispersés, circonstancielles, en générant un souci de balkanisation. Cela est explicable, les compétences de l’UE sont limitées et toute intervention législative doit être justifiée par l’atteinte sensible du commerce intracommunautaire. Le caractère incomplet est inhérent au droit privé communautaire tandis que le droit privé national tend vers la completitude. On peut parler cependant aussi d’une incidence indirecte du droit communautaire sur le droit privé des Etats membres. Sans viser obligatoirement le droit privé, le droit communautaire, primaire ou dérivé, renvoie aux concepts juridiques communs soit à tous les Etats membres soit à certains d’entre eux. Pour ce dernier cas, le phénomène peut être conçu comme un facteur de progrès — car le droit, n’étant pas statique, s’adapte depuis toujours aux changements qu’enregistrent l’évolution des collectivités humaines; par contre, pour le premier, l’intervention communautaire peut mener à des incohérences, non seulement par rapport au droit privé national, mais aussi au droit communautaire même, car il se peut que le juge communautaire
donne parfois des définitions sans avoir le temps de réaliser une réflexion globale qui permette de dégager une conception par rapport à l’institution juridique visée, il se peut que le législateur communautaire utilise parfois des concepts généraux dont l’incidence dépasse le secteur harmonisé.
Le droit communautaire et le droit des contrats. L’harmonisation du droit des contrats au niveau européen n’est pas une initiative nouvelle ou isolée, selon que résulte des travaux du groupe Lando (matérialisés dans les Principes de Droit européen des contrats), de l’Université de Trento (matérialisés dans une étude ayant comme thème Le fond commun du droit privé européen), la série de casebooks patronné par le prof Van Gerven ou le projet extrêmement ambitieux de The Study Group on an European Civil Code animé par le professeur Von Bar. Ces reflexions s’inscrivent à présent dans un contexte soutenu par les autorités communautaires qui contribuent à la création des conditions politiques de réalisation d’une harmonisation effective. Par exemple, à partir de 1989 le Parlement européen a adopté plusieurs résolutions en invitant cette codification du droit privé européen. Le 11 juillet 2001, la commission européenne a publié une communication sur le droit européen des contrats qui demande aux juristes, aux universitaires, à la société civile, en fait à tous ceux qui sont intéressés, de présenter leurs opinions sur ces initiatives. Si les discussions qui ont été générées ont consolidé l’opinion que l’élaboration d’un nouveau Code civil européen est pour le moment une idée utopique, irréaliste (sur un court terme), en échange d’autres alternatives sont ouvertes aux autorités communautaires (l’encouragement du développement des principes de droit des contrats sans valeur juridique obligatoire ou l’amélioration des réglementations communautaires existantes). Le 15 novembre 2001 le parlement européen a adopté une nouvelle résolution par laquelle souligne la nécessité de continuer l’harmonisation ponctuelle du droit des contrats dans les cas où la reconnaissance réciproque des dispositions nationales ne peut s’appliquer et où les divergences entre elles font obstacles au bon fonctionnement du marché intérieur, dans le sens défini par la Cour de justice, et la Commission européenne est invitée à présenter un plan d’actions précis qui mène à l’élaboration et l’adoption en 2010 d’un corpus de règles concernant le droit des contrats dans l’Union Européenne.
En effet, le projet de l’harmonisation du droit des contrats en Europe n’a rien d’utopique: dans ce contexte, les initiatives communautaires ont été focalisées afin de garantir l’équilibre contractuel, tel la
protection des consommateurs/salariés/assurés/agents économiques ou d’autres parties en situation économique défavorable.
Le droit communautaire et le droit international privé. Si il y a 20 ans peux d’auteurs auraient estimé, en tenant compte de l’intégration européenne, que le droit international privé allait occuper une place centrale sur la scène du procès législatif communautaire, aujourd’hui de nombreuses études/ thèse de doctorat sont déjà dédiées dans la doctrine occidentale aux actes normatifs significatifs élaborés dans le domaine (A. Layton, H. Mercer (éd.), European Civil Practice, Thomson, 2006; Katliarina Boele-Woelki, Brussels II bis: Its Impact and Application in the Member States, Intersentia 2007; J. F. van Drooghenbroeck, S. Brijs, Un titre exécutoire européen, Larcier, 2006) ou aux influences réciproques entre les deux matières (P. Picone, Diritto internazionale privato e diritto comunitario, Cedam, 2004; F. Viangalli, La théorie des conflits de lois et le droit communautaire, PUAM, 2004; A. Fuchs, H. Muir-Watt, E. Pataut, Les conflits de lois et le système juridique communautaire, Dalloz, 2004; M.P. Puljack, Le droit international privé à l’épreuve du principe communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité, PUAM, 2004).
La rencontre de deux matières peut paraitre difficile : l’objet DIP est d’organiser la coexistence pacifique des systèmes juridiques distincts ; le droit communautaire est par contre orienté vers l’intégration des marchés et la construction d’un espace sans frontières intérieures. Et pourtant, au niveau européen aussi bien que les spécialistes des deux disciplines ont compris que leur existence concomitante n’est non seulement possible mais aussi nécessaire. Un plus de droit international privé communautaire peut signifier un moindre effort au sens de l’uniformisation /harmonisation des règles matérielles des Etats membres (beaucoup plus difficile), soit la conservation des particularités nationales.
La transformation communautaire directe du droit international privé, faite par l’utilisation des règles classiques de conflits de lois ou la compétence juridictionnelle aura une place significative dans notre démarche. En plus, les nombreuses règles de conflit continuées par les directives d’harmonisation sectorielles (par exemple en matière d’assurances), l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam (1 mai 1999) a bouleversé la situation du droit international privé classique : art. 6 let c) et 65 du Traité CE ont attribué à l’Union Européenne la compétence d’intervenir
dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile. Selon le Plan d’action du Conseil et de la Commission concernant les modalités optimales de mise en application des dispositions de ce traité en matière de réalisation progressive de l’espace de liberté, sécurité et justice, cette compétence implique la prise de mesures pour l’identification facile du tribunal compétent pour les litiges à éléments d’extra-néité, l’indication claire du droit applicable, la procuration rapide des décisions judiciaires, des procédures efficaces d’exécution ; il s’agit de tout autant de questions du domaine de la compétence internationale directe et indirecte, soit des conflits de lois. Les fondements de la compétence communautaire en matière étant assurés (mais non plus sans contestation), les premiers textes de DIP européen n’ont pas tardés apparaitre ; parmi les pionniers, on peut mentionner les règlements 44/2001, 1346/2000, 1347/2000, 2201/2003, 805/2004; d’autres actes normatifs similaires sont en cours d’adoption (Rome 1) et les projets ne manquent non plus (Rome 3). Ces démarches sont extrêmement ambitieuses. D’un coté, la nouveauté de l’intervention communautaire impose la prise en considération des fondements de diverses règles de DIP adoptés mais aussi la discussion de la pertinence des instruments utilisés de la perspective d’une transformation réussite communautaire de DIP à ce niveau ; dans ce dernier sens, si les règlements peuvent représenter un instrument adéquat (par l’unification qu’ils accomplissent), la directive européenne pose plusieurs questions. De l’autre coté, même si le procès d’uniformisation de DIP des Etats membres parait être le moyen préféré de l’UE pour l’accomplissement de l’intégration juridique européenne, il faut souligner quelques maladresses / malentendus, dus soit à l’insuffisante connaissance de DIP soit au désir de laisser aux juges nationaux la possibilité d’accomplir l’œuvre de création communautaire. En effet, la nature de certaines normes européennes de DIP, rencontrées surtout dans les directives, ne peut être déduite facilement (des règles de conflit ou des règles matérielles ayant un domaine autodéterminé d’application dans l’espace), même si une certaine qualification attire des conséquences significatives; et si les Etats membres comprennent différemment des questions cependant essentielles, on est loin de l’uniformisation recherchée. D’autres difficultés peuvent être soulignées par rapport au régime des lois d’application immédiate (lois de police) communautaires. Dans la relation entre les Etats membres, leur intervention sera neutralisée, comme effet du principe de la reconnaissance réciproque;
en échange, dans les rapports avec les Etats tiers, leur jeu ne sera pas affecté et encore est-il de nombreux actes normatifs (de droit matériel) ayant la source communautaire recevront le statut de lois de police et bouleverseront la solution normale du conflit de lois. Une telle situation bouleverse la théorie classique des lois d’application immédiate. Le DIP communautaire devrait aussi opter entre les règles de conflit neutres (traditionnelles dans le DIP) ou les règles de conflit inspirées des objectifs matériels (non-discrimination, libre circulation, libre concurrence - ces derniers en inspirant le droit communautaire dans son ensemble).
Une autre option assez délicate est offerte au législateur communautaire: entre des règles de conflit limitées aux domaines économiques (cette perspective est en concordance avec la spécialisation originaire du droit communautaire) ou des règles de conflit incluant aussi les domaines du droit des personnes et de la famille. Ainsi que démontre le projet du Règlement Rome III (la loi applicable au divorce et à la séparation de corps), les lignes d’action sont déjà dessinées. Non plus en dernière instance, une analyse de la perspective du droit communautaire des conflits de lois suppose de résoudre le problème de la délimitation géographique des futures règles de conflits universelles ou des règles de conflit autolimitées, à savoir le problèmes des rapports entre le droit communautaire et les instruments internationaux de droit international privé.
Le fédéralisme juridique européen est la réponse la plus éloquente au desiderata d’unité dans et par diversité, au besoin de concilier l’exigence de plus de prédictibilité et sécurité dans le circuit juridique transfrontalier au désir des Etats membres de préserver les règles et les traditions juridiques propres, des traditions qui sont intimement liées aux particularités de l’évolution historique de chaque pays, qui marquent et qui définissent l’identité culturelle spécifique.
Parmi les multiples facettes et effets du fédéralisme juridique européen on va s’arrêter de manière succincte aux trois d’entre eux qu’on estime extrêmement importantes : (1) l’autonomie de volonté exprimée par les clauses de choix des lois applicables — le facteur générateur de l’ouverture de la compétition des systèmes de droit (vues comme des « produits normatifs » en concurrence avec ceux similaires des autres Etats membres) ; (2) le concept « étranger » et la condition juridique de l’étranger ; (3) l’ordre public international -autocratie ou réminiscence ?
(l)On va s’arrêter par la suite sur un des instruments les plus importants du droit international
contemporain, censé à conférer plus de flexibilité dans le circuit privé international - les accords (clauses) sur le choix de la loi applicable (choice of law agreements). Ceux-ci représentent une des plus importantes et plus imposantes formes de manifestation de l’autonomie de volonté dans le droit international privé. C’est une expression de l’autonomie de volonté dans le droit international privé (party autonomy in Private International Law). La liberté de choisir la loi applicable est devenue une constante du droit international privé contemporain surtout dans le contexte de la globalisation. Sur le plan européen, comme le montrait Prof Horatia Muir Watt, „choice of law emerges as a flexible and Creative tool of multi-level govemance. As has been seen, its clearest advantage is maintaining regulatory extemalities” (F. Cafaggi, H. M.-Watt, Making European Private Law. Govemance Design, Edward Elgar, 2008, p. 14-15).
On distingue les traits suivants (fonctions) de l’autonomie de volonté dans le droit international privé (des conventions de choix de la loi applicable - choice of law agreements):
1. L’autonomie de volonté („choice of law agreements ”) represente, sans doute, un instrument de la globalisation. C’est l’expression du fédéralisme juridique européen (légal federalism);
2. Choice of law agreements représente un facteur censé à répondre au besoin croissant de prédictibilité, censé à répondre aux expectatives raisonnables des participants au circuit privé international;
3. L’autonomie de volonté représente une instrument de respect et de protection de l’altérité, en permettant non seulement de reconnaître les traditions et les coutumes juridiques et culturelles appartenant aux autres Etats ou communautés, mais aussi à assurer «leur efficacité» sur le territoire des autres Etats que celui dont appartient «par nationalité» le législateur, si on peut utiliser cette formule;
4. Choice of law agreements représente un facteur censé à responsabiliser les parties, en les rendant conscientes des le début de la diversité culturelle et juridique du monde, en leur imposant de la précaution et l’attention ;
5. Choice of law agreements représente un facteur de flexibilité du circuit juridique transfrontalier, en ouvrant une nouvelle alternative aux participants aux rapports juridiques internationaux. Ils seront tenté à jeter un coup d’œil aussi sur le contenu normatif des autres systèmes de droit (ou sur certaines codifications à caractère non-étatique), à comparer ces systèmes ou codifications à celui compétent de l'application, faute
du choix. En partant d’ici, l’autonomie de volonté dans le droit international privé ouvre la possibilité d’évader du système normatif national lorsque l’intérêt des participants dans les rapports juridiques transfrontaliers l’exige. De cette façon, on accomplit la désétatisation du droit privé qui n’est plus unique ni obligatoire. Les parties peuvent choisir librement -même si non plus de façon discrétionnaire - le système normatif auquel se subordonner. Professio juris ouvre ainsi une brèche dans les systèmes nationaux de droit, en permettant aux parties d’échapper.
Comme on vient donc de montrer dans d’autres occasions, le droit international privé retourne en force sur la scène juridique européenne, en formant le principal instrument de l’unification européenne. De l’unification dans et par la diversité; il focalise tous les systèmes nationaux de droit autour de la personne (individu) qu’il dévête de l’habit de citoyen. La citoyenneté devient ainsi un facteur de liaison (de localisation) - connecting factor - à caractère alternatif et résiduel. L’appartenance par la citoyenneté à un certain Etat membre ne parait plus jouer un rôle majeur. L’individu ne peut plus être ni favorisé mais non plus discriminé à cause de la citoyenneté.
Il (le droit international privé) localise l’individu selon son centre d’intérêt, c’est-à-dire selon le lieu de sa résidence habituelle (habituai résidence). La résidence habituelle devient ainsi le principal facteur de localisation de la personne, l’élément qui identifie et impose l’appartenance juridique de la personne à un certain système de droit, tandis que la citoyenneté relève seulement de son appartenance politique à un certain Etat.
Il (le droit international privé) est doux, tolérant, mais aussi pervers en même temps. Doux et tolérant car il permet le luxe de maintenir les diversités culturelles et juridiques appartenant aux systèmes nationaux de droit privé, en assurant cependant la prédictibilité et la fluence du circuit juridique transfrontalier par des règles de conflit (choice of law raies) uniformes. Mais cependant tout a un prix...
Il est cependant pervers parce qu’en dépit de cette générosité, il ouvre de façon subtile et voilée la porte à la concurrence des systèmes de droit privé. Pourtant ce qui est spécifique à cette concurrence est le fait qu’elle n’est pas occasionnée de l’unification du droit prié. On ne pose donc pas le problème de choisir entre les systèmes de droit privé - ou entre les normes matérielles (substantielles) attribuées aux diverses institutions du droit privé appartenant aux Etats membres - selon des critères de préférence ou
« de performance » établis par l’exécutif européen ou par le Parlement européen. Les normes juridiques nationales, tout comme les systèmes de droit auxquels appartiennent, continueront de survivre. Mais la vitalité et leur efficacité est laissée entre les mains de leurs destinataires. On voit surgir de cette manière, même si de façon initiante et voilée, un «marché du droit privé», dirigé du terrain des conflits de lois.
La perversité du droit international privé est cependant noble, digne de respect.
Derrière cette perversité juridique se cache le besoin d’humanisation du circuit privé. L’individu n’est plus laissé à la merci du législateur national, en lui permettant d’évader du système normatif national chaque fois qu’il existe suffisamment de liaisons avec d’autres systèmes de droit ou chaque fois qu’il existe suffisamment d’arguments pour l’application d’un autre système de droit, perçu comme étant plus attractif, plus amicale, plus proche aux expectations raisonnables des parties.
Sans entrer dans les détails, on veut souligner seulement le fait que l’intensité de cette concurrence diffère selon qu’elle met en balance des systèmes de droit appartenant aux Etats membres ou le système de droit appartenant à un Etat membre avec le système de droit appartenant à un pays tiers.
De cette façon, le droit international privé mène à l’hiérarchisation des systèmes de droit. Seulement qu’il ne s’agit pas d’une hiérarchisation sur la verticale, mais à l’horizontale; les systèmes de droit sont mis en concurrence. Le spécifique de ce genre d’hiérarchie consiste dans le fait qu’elle n’est pas préétablie, les critères étant mise enjeu de façon permanente et la décision appartient chaque fois aux parties impliquées, c’est-à-dire aux bénéficiaires du produit normatif.
La concurrence des systèmes de droit s’ articule parfaitement au principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et des actes publiques. Le droit européen est un droit de la concurrence libre. Et cette concurrence ne se résume pas à celle des marchandises ou des services. Autrement dit, la concurrence ne se limite pas au ressort économique, mais elle doit exister avec suffisamment d’intensité aussi dans le domaine juridique. La concurrence des systèmes de droit vient ainsi compléter le paysage juridique européen.
(2) L’évolution du concept « d’étranger » à la suite du processus d’intégration européenne
Le droit des étrangers, par son rapport avec les éléments constitutifs de l’État - la population, le
territoire - constitue une matière dans laquelle le thème de la souveraineté étatique a des influences puissantes. Faute d’une société internationale organisée intégralement, complètement, susceptible d’édicter un régime des étrangers applicable quel que soit l’État dans lequel ceux-ci se trouvent, le problème de la condition de l’étranger est réglementé par chaque souveraineté, par des dispositions unilatérales, en prenant en compte uniquement les propres intérêts La liberté dont jouissent les États dans ce domaine est limitée uniquement par l’obligation de reconnaître aux étrangers leur personnalité morale, soit un minimum de droits nécessaires pour la vie dans la société, comme le réclame l’article 6 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : "Chaque personne a droit à la reconnaissance de sa personnalité morale, où qu ’elle se trouve”.
Même si la notion d’”étranger” est tout de même difficile à définir, parce que faisant mention à des situations nombreuses et diverses (immigrés, résidents, résidents permanents, apatrides, demandeurs d’asile, réfugiés), son importance ne doit pas être négligée. Le statut des étrangers est la modalité par laquelle l’État contrôle les flux migrateurs, en orientant ainsi l’avenir de la nation Par la définition de l’étranger, l’État peut accentuer la distinction par rapport au statut du citoyen ou bien il peut permettre à l’étranger l’accès au statut de citoyen dans des conditions plus ou moins strictes. Des critères historiques, démographiques, économiques, mais aussi une certaine vision de l’État sur l’avenir de la nation sont autant d’éléments à prendre en compte dans l’établissement du statut des étrangers. Comme le montre également l’origine
latine du mot (extraneus, d’extra, c’est-à-dire de l’extérieur), l’étranger est un individu qui n’est pas membre de la cité (civitas). Si le citoyen est le national titulaire de droits et obligations, l’étranger n’a pas les mêmes droits et devoirs envers l’État, et c’est pourquoi il est considéré comme étant différent, distinct par rapport au groupe de citoyens En Roumanie, le texte de base en matière d’étrangers est l’Ordonnance d’urgence no 194/2002, modifiée en dernier lieu par la Loi no 56/2007. A l’art. 2, alinéa 1 lettre a) elle définit l’étranger comme étant ‘’la personne qui n’a pas la citoyenneté roumaine”. Le critère qui se définit ainsi pour la délimitation de ‘Tétranger” par rapport au citoyen est la nationalité, c’est-à-dire le lien juridique existent entre une personne physique et un État, par lequel est consacrée l’appartenance de la personne à la population constitutive de l’État en question Une remarque supplémentaire s’impose pourtant: si “l’étranger” acquiert la nationalité roumaine, il ne sera plus considéré comme un étranger par les autorités roumaines, mais comme un national (même s’il a double citoyenneté), conformément aux dispositions de l’art. 12 alinéa 2ème de la L. no 105/1992.
La qualité d’”étranger” autorise un traitement distinct par rapport au traitement applicable aux nationaux, étant susceptible d’engendrer des discriminations : les étrangers ne bénéficient pas du même régime d’entrée et de séjour sur le territoire national (ayant dans leur grande majorité respectivement de visas, de permis de séjour), ils ne sont pas à l’abri des mesures d’expulsion du territoire, même s’ils habitent depuis plus longtemps et de manière réglementaire dans le pays d’accueil. De
même, des obligations particulières incombent aux étrangers, alors que les droits dont ils bénéficient sont limités ou soumis à des conditions: les étrangers ne peuvent pas occuper des fonctions ou des dignités publiques, ne peuvent pas créer ou financer des partis politiques (art. 4 alinéa 2ème et 3 de l’OUG 194/1992); ils bénéficient de mesures de protection sociale, dans les mêmes conditions que les citoyens roumains, s’ils ont la résidence ou le domicile en Roumanie et ils ont accès, sans restrictions, aux activités scolaires et d’instruction dans la société, s’ils sont inclus dans le système d’enseignement (art. 3 alinéa 4 et 6 de l’OUG 194/1992).
Par l’adhésion de la Roumanie à l’Union Européenne, cette situation a enregistré toutefois une évolution significative. Les Etats membres de l’UE font partie d’un ordre juridique spécifique, caractérisé par l’intégration économique, mais aussi politique, de plus en plus marquée. Quelques éléments viennent modifier les données existant jusqu’à présent dans le cadre du régime des étrangers : la citoyenneté européenne (imposée par le Traité de Maastricht), la communautarisation partielle, mais progressive, des politiques migratrices (le Traité d’Amsterdam), la liberté professionnelle reconnue à tous les ressortissants des États membres, le principe de non-discrimination pour cause de nationalité.
1 La citoyenneté européenne
A partir du Conseil européen de Fontainebleau de 1984, une idée clef a commencé d’être promue: celle que le citoyen communautaire devrait être placé au centre de la construction européenne, afin de développer son sentiment d’appartenance à une communauté supranationale. Le Traité de Maastricht a
fait un pas important sur la voie du renforcement de cette relation entre l’Union européenne et les
citoyens des Etats membres : il introduit (dans le Traité CE!) le concept de citoyenneté de l’UE, sans
lui donner une définition précise, mais tout en précisant qu’’est citoyen de l’UE toute personne ayant la citoyenneté d’un État membre” et que ‘’les citoyens de l’UE bénéficient des droits et doivent respecter les obligations prévues par le Traité” (art.
17 ex. art 9 TCE).
Le concept de citoyenneté européenne (repris également par le Traité d’Amsterdam) renvoie à un ensemble de droits et obligations qui se rapprochent beaucoup de ceux inclus dans le cadre de la notion de “citoyenneté”, comprise dans le sens traditionnel, tout en se particularisant par la volonté du législateur communautaire d’ajouter de nouveaux droits à ceux déjà reconnus aux ressortissants des États membres.
Concernant les obligations imposées aux citoyens de l’UE, la reconnaissance de la citoyenneté européenne n’offre pas de contour précis, détaillé de celles-ci (art. 17 paragraphe 2 TCE mais envoie aux ‘'obligations fixées par le présent traité”), et cela s’explique probablement par le fait que la solidarité entre citoyens n’a pas encore atteint un niveau suffisant pour représenter le fondement d’obligations de ce genre. En échange, s’agissant de droits, le Traité réaffirme les droits déjà reconnus antérieurement (la libre circulation et de séjour), tout en innovant, apportant, d’une part, des droits nouveaux, spécifiques, comme celui de voter et d’être voté aux élections européennes et municipales et augmentant, d’autre part, la protection des citoyens, par le droit d’adresser des pétitions au Parlement européen (art. 21 et art 194 TCE), le droit de s’adresser au médiateur européen (art. 21 et 195 TCE), le droit de communiquer avec les institutions et avec certains organes de la Communauté (art. 21 alinéa 3ème TCE), le droit à la protection diplomatique dans les États tiers (art. 20 TCE).
2 La libre circulation des personnes
La libre circulation des personnes, principe fondamental du Traité d’institution des Communautés Européennes, est de manière traditionnelle présentée comme incluant, d’une part, le droit de déplacement et de séjour sur le territoire d’un État membre et, d’autre part, le libre exercice d’une activité professionnelle. Le Traité d’institution de l’Union Européenne impose à présent une dissociation de ces deux droits.
2-1 La liberté de circulation et de séjour
Au niveau européen les politiques migratrices s’inspirent de façon prioritaire de deux principes : ouverture vers l’intérieur, fermeture vers l’extérieur. Cette politique, qui est fortement influencée par la
logique sécuritaire, ne peut cacher, néanmoins, la méfiance des Etats envers l’idée d’abandonner leur souveraineté en échange d’un contrôle européen des frontières Même si les États membres ont considéré depuis toujours des problèmes comme l’asile et l’immigration comme relevant de la souveraineté nationale (et devant, donc, être traités par la méthode intergouvemementale) la communautarisation du titre IV par le Traité d’Amsterdam a apporté les signes d’une évolution significative : les problèmes relatifs à la libre circulation des ‘'personnes” (”Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation”) ont été intégrés dans le traité, s’ajoutant à la libre circulation des ‘'travailleurs”.
En échange, cette communautarisation semble être le fruit d’un compromis: d’une part, elle présente une géométrie variable (du fait de permettre au Danemark, à la Grande-Bretagne et à l’Irlande de rester en dehors - opting out) et, d’autre part, l’idéologie sécuritaire est évidente, l’action communautaire en la matière devant assurer au moins le même niveau de sécurité et de protection que la Convention Schengen (qu’elle intègre). Le progrès tant souhaité dans ces domaines est limité dans l’espace et le temps, en marquant la persistance du fait national au sein de la construction européenne. Les États n’ont pas renoncé à réglementer les flux migrateurs et on ne leur impose pas la suppression de la législation relative à l’entrée et au séjour sur leur territoire; chaque État peut continuer à édicter des contraintes spécifiques applicables aux
étrangers, voire aux ressortissants communautaires, mais dans le respect des exigences européennes. Bien que la Directive Européenne 38/2004 énonce clairement que le droit de circuler et de séjourner librement est ‘’un droit fondamental et individuel” conféré aux citoyens de l’UE, les États ont le droit de le limiter pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.
Concernant le problème de l’accroissement d’une éventuelle discrimination entre “étrangers”, du fait de privilégier la liberté de circulation des ressortissants de l’UE et le déplacement des contrôles aux frontières extérieures de l’UE, les textes et la doctrine n’offrent pas pourtant une parfaite clarté, ni l’unanimité sur le plan de la terminologie. Les textes juridiques des communautés et de l’UE ne contiennent pas de précisions au sujet du terme étranger, à l’exception de la Convention pour l’application des Accords Schengen, de 1990. Pour les États membres Schengen, l’étranger est ‘’toute personne autre que les ressortissants des États membres de la CE” (titre 1er de la Convention). De même, il semble que ce texte manque de la doctrine institutionnelle, qui préfère le concept de ‘'ressortissant d’un État tiers”. Or, celui-ci est considéré être ‘’toute personne qui n’est pas citoyen de l’UE, au sens de l’article 8 paragraphe 1 TCE)” (Cf. la Directive du conseil relative aux droits des ressortissants des États tiers de voyager à l’intérieur de l’UE). De ces deux textes il résulte que les nationaux des États membres de
l’UE ne doivent pas être considérés, dans le domaine d’application du droit communautaire, comme “des étrangers”, contrairement à la qualification souvent rencontrée (notamment dans les États membres) d’”étranger communautaire”. La DE 200438 utilise le syntagme ‘'citoyen de l’UE et les membres de sa famille”, en indiquant clairement les destinataires du texte et, donc, ceux de la liberté de circulation.
La conclusion sur ce point peut être déduite facilement: à l’avenir, les distinctions pratiquées dans les législations nationales entre nationaux et étrangers ne vont plus se guider selon le critère de la nationalité, comme jusqu’à présent, mais prendront plutôt en compte les droits et donc les garanties dont les ressortissants des autres Etats (communautaires ou non) peuvent bénéficier sous le jour du droit communautaire. C’est pourquoi, même si les ressortissants des Etats membres ne se trouvent pas dans une situation absolument identique à celle du national, seuls les ressortissants des États tiers seront considérés du point de vue juridique comme ‘’les véritables étrangers de l’Europe”.
2-2 Le libre exercice d’une activité professionnelle
Le droit d’exercer librement une activité professionnelle représente, dans le droit communautaire, tout comme dans les législations nationales, un droit fondamental de la personne.
Dans le contexte communautaire, il est, également, inhérent aux libertés communautaires -la libre circulation des travailleurs, le droit d’établissement, la libre prestation des services, mais il y a quelques distinctions, selon qu’il s’agit des nationaux d’un État, des ressortissants communautaires ou des ressortissants d’États tiers.
Les bénéficiaires de cette liberté sont, en principe, seuls les ressortissants communautaires. D’une part, les nationaux ne peuvent pas invoquer en leur faveur le droit communautaire dans l’hypothèse d’une situation purement interne (mais la règle est appréciée de manière restrictive) et, d’autre part, les ressortissants
des États tiers bénéficient de la reconnaissance des libertés professionnelles dans la Communauté sur la base seulement d’accords internationaux, ceux-ci pouvant prévoir pourtant soit “un traitement non discriminatoire”, soit un “traitement tout aussi favorable” que celui qui est accordé aux ressortissants communautaires. De façon exceptionnelle, les ressortissants des États tiers qui sont les membres de famille d’un citoyen de l’Union bénéficient d’égalité de traitement en matière de libertés professionnelles; de même, la libre prestation des services exercée par une entreprise communautaire bénéficie, également, par ricochet, aux ressortissants des États tiers établis de manière réglementaire dans un État membre et salariés de l’entreprise en question .
Pourtant, en acceptant l’idée profondément enracinée dans les législations nationales selon laquelle les étrangers doivent être exclus de l’exercice de l’autorité publique sur le territoire de l’État d’accueil, l’art. 39 paragraphe 4 et l’art. 45 TCE évitent d’inclure aussi dans le domaine d’application des libertés professionnelles les activités de l’administration publique ou concernant l’exercice de l’autorité publique. Les souverainetés nationales sont également ménagées en la matière de la liberté professionnelle, de sorte que ces dernières activités seront réservées aux nationaux seulement. Nous rappellerons quand même l’interprétation restrictive que la CJCE apporte à ces articles et le droit de contrôle qu’elle se réserve, en démontrant même dans ce domaine qu’un ressortissant communautaire ne saurait être traité comme tout autre “étranger”.
Outre le principe général de la liberté professionnelle, consacré par le Traité d’institution de la Communauté européenne, le droit communautaire offre aux citoyens européens une protection spécifique, dans différents domaines, et nous présenterons ici, à cet égard, deux situations seulement. D’une part, dans le domaine de l’accès au travail, le principe de l’Égalité de traitement entre nationaux et ressortissants communautaires apparaît comme l’un des fondements de la Communauté. D’autre part, concernant la protection des citoyens communautaires face à des
risques sociaux comme la maladie, la maternité, le vieillissement, le chômage, les accidents du travail, le droit communautaire est intervenu pour assurer la coordination des régimes applicables aux travailleurs migrants, de façon à ce que ceux-ci conservent les droits acquis ou qu’ils sont en train d’acquérir dans l’État membre où ils circulent (évolution significative par rapport à la situation réservée aux ressortissants des États tiers). Dans ces domaines, également, le principe est l’égalité de traitement entre nationaux et les ressortissants des États membres (nous y incluons aussi les réfugiés et les apatrides résidant de manière réglementaire sur le territoire d’un État membre). Évidemment, pour ces problèmes, les États membres restent libres de réglementer comme ils le veulent l’accès au travail ou la protection sociale des ressortissants d’États non communautaires.
3 Le principe de la non-discrimination au motif de la nationalité
Inscrit dans le texte du Traité d’institution de la Communauté économique européenne dès le moment de sa signature (Rome, 25 mars 1957), le principe de la non-discrimination au motif de la nationalité constitue l’une des bases essentielles de l’intégration communautaire. Selon l’article 12 alinéa 1er TCE, ‘ ’dans le domaine d’application du présent traité, et sans porter atteinte aux dispositions particulières que celui-ci prévoit, toute discrimination au motif de la nationalité est interdite”.. La règle cardinale du droit communautaire, le principe de la non-discrimination au motif de la nationalité est l’instrument privilégié de l’intégration de l’économie des États membres dans un marché commun présentant, dans la mesure du possible, les caractéristiques d’un marché intérieur. En même temps, il est étroitement lié aux libertés de circulation à l’intérieur du territoire communautaire, dès lors que ces libertés, intervenant dans le domaine économique, constituent l’élément essentiel du marché commun, au sens du droit communautaire. La connotation économique du principe résulte également de sa présence dans de nombreux principes sectoriels, qui interdisent les discriminations au motif de la nationalité
dans des domaines comme les monopoles nationaux (art. 31 paragraphe 1er TCE), les relations avec les producteurs ou les consommateurs, en ce qui concerne l’organisation commune de marchés agricoles (art. 34 paragraphe 2ème TCE), les aides accordées par les États (art.87 paragraphe 1er TCE), la libre circulation des travailleurs (art. 39 paragraphe 2 TCE), le droit d’établissement (art.43 TCE), la libre prestation des services (art.49 TCE) ou la libre circulation des capitaux (art. 56 et 58 TCE).
Le droit communautaire n’est pourtant pas un simple droit de réalisation d’une intégration économique; dépassant le concept de marché, le droit de l’Union s’affirme également comme un droit des personnes. Les modifications institutionnelles réalisées la décennie passée viennent prouver non seulement les engagements de respecter les libertés fondamentales de l’être humain (art. 6 paragraphe 1er TUE), mais aussi le développement de droits économiques ou sociaux ou la construction d’un statut du citoyen communautaire. Par leur volonté de transformer la communauté économique en une entreprise commune à laquelle participent tous les citoyens européens comme individus, les Traités de Maastricht ou Amsterdam ont offert à la CJCE la possibilité de préciser la signification du principe de la non-discrimination au motif de la nationalité et de multiplier les conséquences qui lui sont attachées.
L’article 12 TCE interdit les discriminations au motif de la nationalité ‘’dans le domaine d’application du Traité” et sans porter atteinte aux dispositions particulières que celui-ci prévoit. En dépit de la formulation assez générale du texte, la doctrine estime que cette disposition limite ses effets aux ressortissants - personnes physiques des États membres, ainsi qu’aux personnes morales qui lui sont assimilées (parce qu’elles sont constituées conformément à la législation d’un État membre et ont le siège statutaire, l’administration centrale ou l’établissement principal sur le territoire de la Communauté - art 48 TCE), sans concerner aussi les ressortissants des États non communautaires.
L’évolution du principe de non-discrimination au motif de la nationalité. À l’origine, le principe de la non-discrimination au motif de la nationalité n’a été utilisé que pour favoriser les personnes qui exerçaient leur liberté professionnelle; le fondement de son intervention a été la liberté de circulation, qui détermine les droits conférés par l’égalité de traitement. Progressivement, la jurisprudence CJCE a étendu son domaine d’application original, en déterminant aussi une transformation de son contenu.
Ratione personae, le domaine d’application du principe, a été élargi, sans continuer à prendre exclusivement en compte le critère de l’exercice de la liberté professionnelle. Tout ressortissant d’un État membre, se trouvant dans une situation régie par le droit communautaire, bénéficie du traitement national, sur le territoire de l’État de destination, dès lors que le droit communautaire garantit la liberté de déplacement dans l’État membre en question. Ultérieurement, les libertés de circulation et de séjour étant étendues par 3 directives de 1990 à la presque totalité des États membres (des travailleurs qui ont cessé l’activité professionnelle, des étudiants, de façon subsidiaire d’autres ressortissants), l’application de la jurisprudence mentionnée a mené à une extension sans précédent du principe de la non-discrimination. Une troisième étape d’extension a été représentée par les modifications institutionnelles des traités, par lesquelles a été introduite la citoyenneté de l’Union en faveur des ressortissants des États membres (art. 17 CE). L’art. 18 TCE reconnaît au citoyen de l’UE le droit de circulation et de séjour, sous réserve toutefois des limitations et
des conditions prévues par le droit communautaire (voir DE 2004/38, évoqué plus haut). S’agissant du droit de rester sur le territoire des États membres, la CJCE a précisé qu’il est “reconnu directement” à tout citoyen de l’Union. Assignant un contenu concret à la notion de citoyenneté de l’Union, la CJCE consacre ainsi l’évolution du principe de la non- discrimination au motif de la nationalité, qui se détache de sa fonction originale au service des libertés économiques pour devenir un droit constitutif de la citoyenneté.
Ratione materiae. L’art 12 TCE dispose que le domaine d’application matériel du principe de la non-discrimination au motif de la nationalité coïncide avec celui du traité CE, toute extension de ce dernier menant automatiquement à une extension du premier. Ainsi, la CJCE garantit aux justiciables un contrôle de compatibilité avec les exigences du principe de non-discrimination non seulement des mesures nationales qui peuvent créer des obstacles sur la voie de l’exercice effectif d’une liberté de circulation, mais de toutes les mesures nationales susceptibles d’entrer dans le domaine d’application du Traité. Deux éléments viennent apporter puissamment leur empreinte: d’une part, la construction communautaire jouit d’une dimension évolutive, incluant non seulement les modifications des traités, mais aussi les actes adoptés comme résultat de la coopération intergouvemementale et d’autre part, comme il résulte de la position de la Cour de Justice, les exigences de mobilité intracommunautaire ont un caractère extensif.
On peut constater ainsi que les droits reconnus aux citoyens communautaires bénéficiaires de
a été établie conformément aux règles de conflit instituées si elle choque l’ordre public de DIP roumain -, que l’effet positif ou de substitution -l’application de la loi roumaine à la place de la loi étrangère éliminée.
En ce qui concerne l’effet négatif de cette exception, il implique l’élimination de la loi étrangère si les résultats de son application sont contraires à des principes et valeurs fondamentales. Le texte impose une appréciation in concreto et cela rendra possible tant l’application de lois étrangères dans l’essence choquante quand ses résultats sont équivalents à ceux auxquels conduirait l’application de la loi roumaine (une loi musulmane qui admet le mariage polygame sera appliquée sans problèmes par les autorités d’état civil roumain si chacun des époux est célibataire au moment de la célébration du mariage), mais aussi l’élimination d’une loi qui dans l’abstrait n’est pas contraire à l’ordre public, mais qui, vu les circonstances, mène à des résultats inacceptables...
Le Nouveau Code civil ne consacre pas, dans le cadre de la règle analysée, une différence dans l’intervention de l’exception d’ordre public en fonction des liens qui existent entre la situation juridique et le forum (Inlandsbeziehung dans le droit allemand, ordre public de proximité dans le droit français); néanmoins, étant donné l’appréciation in concreto évoquée plus haut, il n’est pas moins vrai que dans la pratique les tribunaux pourront tenir compte du facteur spatial dans le déclenchement de ce mécanisme. Comme une particularité, nous retrouvons à l’art. 2586 alinéa 2ème et à l’art. 2600 alinéa 2ème NCC des clauses spéciales d’ordre public censées favoriser l’élimination de lois étrangères qui prévoient des obstacles au mariage incompatibles avec la liberté de conclure un mariage, tel qu’il est compris dans le droit roumain, à savoir qui ne permettent pas le divorce ou le permettent dans des conditions extrêmement difficiles; leur intervention dépend, dans le premier cas, de la nationalité roumaine de l’un des futurs époux et la célébration du mariage en Roumanie, et dans le deuxième cas, de la nationalité roumaine ou la résidence en Roumanie de l’un des époux.
Concernant l’effet positif de l’exception d’ordre public, la solution de la substitution de lex fori à la place de la loi étrangère est prévisible; bien que le texte de l’art. 2564 alinéa 1er ne prévoie rien sur ce point, les règles traditionnelles dégagées par la doctrine en la matière - imposant la substitution
de la loi roumaine dans la limite seulement de ce qui est nécessaire pour éliminer les effets choquants, à savoir l’application de la loi roumaine pour tout ce qui est nécessaire de manière à garder la cohérence de la décision - continueront de recevoir application.
b. Les contours de la catégorie.
Bien que la tradition accepte le fait que l’ordre public international n’a pas un contenu préétabli, reflétant des principes et valeurs essentiels à un moment donné pour une certaine société, l’art. 2564 alinéa 2ème NCC apporte des détails à cet égard : le texte relève expressément qu’en Roumanie l’ordre public de DIP est violé si l’application de la loi étrangère mène à des résultats incompatibles avec des principes fondamentaux du droit roumain ou du droit communautaire ou bien avec les droits fondamentaux de l’Homme.
Concernant le premier aspect, si la jurisprudence roumaine est pauvre en matière d’exemples, à valeur d’information on peut citer, parmi les principes fondamentaux visés, la reconnaissance de la personnalité juridique de chaque individu, l’indisponibilité du corps humain, l'égalité civile, la liberté matrimoniale, la reconnaissance du droit de propriété et du droit de transmettre des biens par la succession, la force obligatoire de l’engagement librement consenti, l ’intérêt supérieur de l ’enfant...
Le texte permet au commentateur la délimitation avec l’ordre public de droit intérieur, dont les contours sont beaucoup larges que ceux de l’ordre public international. En même temps, le texte parle de l’ordre public de droit international privé roumain : il renvoie à la conception nationale sur ce qui doit être considéré comme “fondamental” et permet la distinction avec l’ordre public transnational ou véritablement international, accepté dans le domaine de l’arbitrage (et dont les contours sont plus limités que ceux de la catégorie analysée.
Un fait qui pourrait apparaître comme surprenant est la mention spéciale des droits fondamentaux de l’Homme parmi les valeurs qui enrichissent les valeurs protégées par l’intermédiaire de l’exception d’ordre
public international, dans la mesure où la protection de ces droits est déjà un principe inscrit dans la Constitution de la Roumanie et donc un principe fondamental du droit roumain; la précision ne nous semble pourtant pas superflue, dans le contexte des discussions relatives à la méthode la plus appropriée permettant la réalisation de la protection des droits de l’homme dans le droit international privé - l’exception d’ordre public international ou les lois de police, le législateur roumain faisant ainsi connaître sa position. Des problèmes éventuels pourraient apparaître concernant les contours de la catégorie ‘’les droits fondamentaux de l’homme”. Vu que la Roumanie est membre du Conseil de l’Europe, la Convention Européenne des Droits de l’Homme étant en vigueur chez nous, la prise en compte des droits consacrés par celle-ci apparaît comme une nécessité. Pourtant, selon notre optique, cela n’implique pas la prééminence de chacune des solutions dégagées par la Cour de Strasbourg dans l’interprétation du texte de la convention (dont beaucoup ne sont pas prises en compte à l’origine pas ses rédacteurs), sans pouvoir être accusés d’impérialisme; qui plus est, des droits comme ceux des transsexuels d’obtenir la modification des actes d’état civil, ceux des homosexuels de se marier entre eux ou bien d’adopter, le droit à la connaissance de la filiation, le droit de recourir à des techniques de procréation médicale assistée suscitent encore des discussions au niveau européen, la position ECHR est prudente et c’est pourquoi les réactions de l’exception d’ordre public international devraient encore être dictées par des considérations nationales.
Concernant l’inclusion dans le cadre des valeurs protégées par l’intermédiaire de l’exception d’ordre public des principes fondamentaux du droit communautaire, nous discutons en même temps d’un élément de modernisme et de nouveauté par rapport à la législation roumaine antérieure. La réglementation sur ce point pourrait poser pourtant des difficultés; si, en matière de reconnaissance des décisions judiciaires (et arbitrales) étrangères la jurisprudence CJCE apporte quelques indications concernant l’utilisation de cette technique de DIP en faveur du droit communautaire,
au niveau des conflits de lois il est plus difficile d’attribuer un contenu positif pour cet ‘'ordre public de source communautaire”, qui viendrait compléter l’ordre public des Etats membres; et ce parce que, d’une part, l’ordre juridique communautaire n’est pas complet, des domaines importants restant dans la sphère de la compétence législative des États membres et, d’autre part, dans les domaines où l’intervention au niveau communautaire a eu lieu, on n’est pas toujours parvenu à la délimitation de certains principes fondamentaux qui mériteraient d’être protégés par ce mécanisme (en tout cas, non sans que le droit communautaire soit accusé d’impérialisme injustifié).
De même, quelques observations seraient nécessaires concernant le domaine d’intervention de cet ordre public de source communautaire : naturellement, il sera destiné à protéger en premier lieu l’ordre juridique communautaire (et des principes comme celui de non-discrimination, de libre concurrence, de libre circulation) dans les rapports avec les pays tiers, contre des lois qui mettraient en danger ses valeurs. En même temps, entre les États membres, l’utilisation de ce mécanisme sera plus difficile dès lors que, d’une part, les principes communautaires de libre circulation et reconnaissance réciproque peuvent intervenir pour censurer l’application de la loi désignée par ce mécanisme si elle est de nature à représenter une restriction et, d’autre part, étant donné l’évolution de l’harmonisation des législations nationales et de la création d’un paquet de règles équivalentes (ayant à la base des valeurs communes), nous ne pouvons plus parler d’un "bond dans l’inconnu” face auquel l’exception d’ordre public doit protéger et les règles de conflit traditionnelles peuvent fonctionner de façon adéquate; même dans ces conditions, on ne saurait
exclure pourtant une éventuelle utilisation de ce mécanisme contre la loi d’un État membre qui n’a pas du tout transposé ou qui a transposé incorrectement une directive communautaire.
2. Les lois à application immédiate. Concernant les lois à application immédiate, notre opinion doit être précisée dès le début : l’article 2566 NCC a une formulation susceptible d’être critiquée, qui dénonce la confusion du législateur roumain au sujet de cette méthode de DIP; le texte est de nature à soulever des difficultés sérieuses dans la pratique lors de son application, dès lors qu’à part le titre de l’article - lois à application immédiate - rien ne semble indiquer "l’adhésion” des lois désignées par ce texte à la catégorie analysée.
a. Les lois à application immédiate du forum.
Depuis K. Neumayer, la distinction entre les normes impératives simples et les normes internationales impératives est devenue claire; alors que ces premières normes font partie de celles dont ont ne saurait déroger par contrat et qui ne reçoivent application que si le système de droit auquel elles appartiennent est désigné globalement pour régir le rapport de droit analysé, les normes internationales impératives sont des normes qui prétendent application quelle que soit la loi qui régit le rapport de droit, qu’elle soit choisie par les parties ou déterminée par la mise en œuvre de critères objectifs. Cependant que toute définition donnée aux lois de police reflète cet élément essentiel de méthode, l’article 2566 NCC parle simplement de "dispositions impératives”, en aucun cas on ne pourrait invoquer à cet effet la formulation similaire retrouvée à l’article 7 de la
Convention de Rome - si ce dernier texte autorise l’application de dispositions impératives de la loi du forum nous retrouvons, bien sûr, le complément indispensable "... applicable quelle que soit la loi qui régit le contrat”. L’application "de manière prioritaire ”, pour la solution des conflits de lois dans l’espace, des "dispositions impératives prévues par la loi roumaine pour la réglementation d’un rapport juridique avec des éléments d’extranéité", sans autres précisions ou compléments au sujet du degré impératif des normes visées nous semble exorbitante et implique le retour du DIP roumain à la phase pré- savinienne.
Passant outre cet élément de méthode et dans l’espoir, malgré la formulation défectueuse, d’une interprétation du texte conformément à la théorie traditionnelle des lois à application immédiate reste à résoudre le problème de l’identification des normes qui réclament cette ‘ 'application immédiate”. Normalement, la doctrine et la jurisprudence prévoient que pour une caractérisation de ce genre serait essentielle l’importance jouée par la norme pour l’ordre juridique de l’État qui l’édicte, étant donné les objectifs étatiques poursuivis par son intermédiaire. La formulation de l’article 2566 NCC, dans lequel les précisions relatives à cet aspect manquent complètement, nous est désormais familière; les difficultés auxquelles se sont confrontés les juges des États occidentaux dans les démarches d’identification des lois de police ne seront qu’amplifiées chez nous.
b. Les lois à application immédiate étrangères
Les dispositions de l’art. 2566 alinéa 2ème
relatifs aux lois à application immédiate étrangères surprennent tout autant.
De manière classique, le texte prévoit la possibilité (et non point l’obligation) de l’application des lois impératives appartenant à un Etat avec lequel le rapport juridique présente des liens serrés : les instances autochtones disposent du pouvoir ultime concernant l’application ou non de ces lois et pour cela les intérêts des pays tiers doivent toujours être conformes aux standards du forum en ce qui concerne leur légitimité. Pour faciliter la tâche des juges dans la démarche (fonctionnelle) d’appréciation de l’application ou non des lois étrangères à application immédiate, le législateur roumain leur offre quelques indications: s’inspirant de la formulation de l’art. 7 paragraphe 1 de la Convention de Rome, le texte prévoit qu’il faut prendre en compte la nature et l’objet de ces normes, tout comme les conséquences qui pouiraient résulter de leur application ou non application - il est nécessaire ainsi de prendre en compte tant les intérêts des États dont les lois sont potentiellement impliquées, que l’appréciation du caractère prévisible des résultats et du degré de facilitation, par la décision prononcée, du fonctionnement du système juridictionnel.
Nous ne trouvons pourtant aucune mention relative à la méthode qui, dans l’État d’origine de ces normes, instrumente leur application dans des situations internationales et ce dans les conditions où, normalement, les juges du forum ne peuvent appliquer à titre de ‘ 'lois à application immédiate” étrangères que des normes qui reçoivent déjà cette qualification dans le système juridique auquel elles appartiennent.
Également problématique nous semble aussi le fait de soumettre l’application de ces lois étrangères à application immédiate à la condition de prendre en compte les intérêts légitimes des parties. Et ce, d’une part, parce que de manière traditionnelle le mécanisme analysé a comme fondement la préoccupation de sauvegarder des politiques qui visent l’organisation même dans l’État en question et non point les intérêts individuels; de même, l’application directe des lois de police étrangères a été conçue comme un instrument de coopération entre États pour la réalisation d’intérêts communs, en poursuivant aussi des objectifs comme l’harmonie internationale de solutions, l’élimination du risque de forum shopping, la facilitation de la circulation internationale des décisions et il nous semble curieux de voire apparaître dans le cadre d’une réglementation présumée être inspirée par des objectifs
de ce genre cette mention des "intérêts légitimes des parties”. D’autre part, on peut se demander de quels intérêts légitimes pourrait-il être question dans ce contexte. Des intérêts substantiels - non, puisque dans la situation d’un litige, ceux-ci sont, bien sûr, opposés et la prééminence accordée à certains d’entre eux doit dépendre non pas du subjectivisme du juge, mais des dispositions légales applicables, le problème étant justement dans ce cas la détermination de ces dispositions. On pourrait, éventuellement, envisager le besoin des parties de certitude, de sécurité juridique; pourtant, cela inspire plutôt les règles de conflit et nullement pas la méthode des lois de police - comme nous l’avons affirmé déjà, cette dernière a comme fondement le besoin de sauvegarder des politiques étatiques, au risque même de déjouer certaines prévisions (légitimes) des parties au sujet de la loi applicable.
Titre préliminaire
l.Prolegomena
Rien, absolument rien dans ce monde n’est plus sûr que la mort. Elle marque l’une des coordonnées de notre existence sur la Terre. Nous naissons et nous vivons chaque moment de notre vie éphémère avec la certitude de la mort, dans sa crainte. Elle est le fruit de l’écoulement du temps ‘’sublunaire”, du temps qui ”ronge”, qui "brûle”, qui ‘’fait, refait et défait”
Par la mort, l’homme traverse vers l’autre coté de son existence, immatériel, invisible et, surtout, inconnu et non réglementé juridiquement par “les lois humaines”.
“Alors Almitra parla et dit : Nous voudrions demander sur la Mort.
Et lui (le prophète) dit :
Vous voudriez connaître le secret de la mort.
Mais comment pourriez-vous le trouver sinon en le cherchant au cœur de la vie?
Le hibou dont les yeux nocturnes sont aveugles à la lumière du jour ne peut pas révéler le mystère de la lumière.
Si vous voulez en effet regarder l’esprit de la mort, ouvrez large votre cœur sur le corps de la vie.
Parce que la vie et la mort ne font qu’un, tout comme la rivière et la mer ne font qu’un.
Au fond de vos espérances et souhaits se trouve en silence la connaissance de l’au-delà;
Et comme les graines rêvent sous la neige, votre cœur rêve au printemps.
Ayez confiance dans les rêves, car ils cachent la porte vers l’éternité.
Votre crainte de la mort n’est que le tremblement du berger debout devant le roi qui lève la main vers lui pour l’honorer.
Le berger ne se réjouit-il pas, sous son tremblement, d’être marqué par le roi?
Et pourtant, n’est-il pas encore plus conscient de ce tremblement?
Car c’est quoi mourir, sinon rester nu dans le vent et fondre sous le soleil?
Et que signifie ne plus respirer sinon délivrer la respiration de ses marées inquiètes, pour qu’elle se lève et s’étende et cherche libre le Dieu ?
Au moment seulement où vous boirez de la rivière du silence vous chanterez vraiment..
Et vous ne commencerez de monter qu’au moment seulement où vous atteindrez le sommet de la montagne.
Et c’est seulement quand la terre demandera vos membres, que vous danserez vraiment.” (notre soulignement).
La mort est omniprésente, démontrant le caractère éphémère et périssable de notre ‘’errance” sur la terre. La différence entre nous et les autres créatures de la Terre consiste dans le fait que nous avons "le privilège” de contempler notre propre mort. Elle est toujours tout près de nous voire dans notre être. Dès le commencement de la vie la mort existe et en est inséparable : des millions de cellules meurent et renaissent sans cesse dans notre organisme, processus sans lequel nous ne pourrions pas survivre ou nous ne pourrions pas conserver notre santé. La mort fait partie, donc, du cycle naturel de la vie. Elle n’est pas l’opposé de la vie, étant une partie inséparable de la vie et son prolongement naturel. C’est une ombre qui apparaît dès le moment de la naissance, errant à nos côtés, nous accompagnant toujours, silencieuse et patiente, jusqu’au moment du passage. La vie est une symbiose de lumières et ombres. Nous ne devons pas nous proposer de chasser les ombres! Elles existent “délicatement”, indépendamment de notre volonté, étant la création même de la lumière, dont elles ne peuvent pas être séparées. C’est pourquoi, nous devons accepter à la fois la lumière et les ombres qu’elle crée, tout comme nous devons accepter notre destinée, la joie et l’amertume, la vie et la mort, le bien et le mal.
Du point de vue juridique, la mort met un terme à notre capacité, à notre existence juridique, en tant que sujets de droit. Tel est son effet le plus visible, le plus direct et, à coup sûr, le plus profond.
La mort représente, donc, "un impératif terrestre”, un phénomène universel, absolu et obligatoire. Elle ne connaît pas de degrés de comparaison ni d’intensité. Elle ne fait pas de différenciations. Elle survient tout simplement (se propage). Sa perception, "la peur” de la
Kahlil Gibran, "Le Prophète” (sur la mort)
mort nous rappelle que nous sommes "de passage” seulement sur (cette) terre, le fait que nous ne sommes que "les commodataires” des choses dont nous croyons qu’elles nous appartiennent éternellement. Nous mourons tous, nous qui peuplons "la vallée de l’ombre de la mort” (Psaumes 23, 4), et l’effet de la mort est identique, quels que soient notre appartenance nationale, notre origine ethnique, la civilisation dans laquelle nous avons vécu et à laquelle nous nous sommes sentis attachés, le système juridique que nous avons connu, que nous avons embrassé et auquel nous avons appris à nous rapporter pendant la vie.
Toujours est-il qu’en dépit de son ubiquité et de son universalisme, en dépit de son effet général extinctif, les systèmes de droit des États peuvent être différents (et sont souvent différents - parfois de manière substantielle) concernant l’organisation des effets patrimoniaux de la mort. Autrement dit, si tous les systèmes de droit admettent que par la mort on met un terme à la capacité juridique de la personne, le fait que lors du "grand passage” la qualité de sujet de droit du trépassé cesse instamment et de manière irrémédiable, - en échange, la dévolution de la fortune du trépassé est réglementée souvent de façon différente, tenant compte des traditions et des particularités de l’évolution historique dans chaque pays, de l’évolution de la pensée juridique, des conceptions morales partagées à ce moment-là et, non point en dernier lieu, en fonction des intérêts poursuivis et de la largeur de la pensée du législateur, de son libéralisme.
* * *
"Les successions s'ouvrent par la mort" — selon l’art. 651 de notre Code civil.
Cet article consacre une disposition d’ordre public
international. Cela signifie que la mort constitue dans notre droit la seule source et la seule raison de l’ouverture de la succession d’une personne. Puis, quel que soit à cet égard le contenu d’une loi successorale étrangère, potentiellement incidente dans une affaire, l’ouverture de la succession d’une personne qui est (encore) vivante ne peut être admise. Par conséquent, tant la mort civile que l’ouverture de la succession de la personne déclarée juridiquement disparue sont contraires à notre ordre public de droit international privé.
L’ouverture de la succession est liée ainsi à la mort biologique de la personne (is de cujus successione agitur), la transmission successorale étant une transmission mortis causa. Le moment de la mort est aussi le moment de l’ouverture de la succession (Erbfall).
La science du droit, dès les temps les plus révolus, n’a pu faire abstraction des effets matériels, patrimoniaux de la mort. Nous laissons derrière nous tout ce qui nous a appartenu. Mais nous laissons à qui? Et dans quelles conditions? C’est au droit successoral qu’incombe la tâche de répondre à ces questions. Les choses peuvent devenir toutefois extrêmement compliquées dès lors que la succession prend en compte plusieurs systèmes de droit, appartenant à des pays différents, qui se disputent entre eux la compétence.
Lorsque la succession présente des liens avec plusieurs systèmes de droit on a affaire à une succession internationale (internationale}- Erbfall).
En matière successorale, l’élément d’extranéité peut s’avérer divers. Il peut être lié soit à la personne du défunt, soit aux biens qui forment la masse successorale, soit à d’autres circonstances.
Les éléments d’extranéité ne présentent pas tous une signification juridique. Dans notre système de droit international privé, pour la solution des conflits de lois en matière successorale ont signification juridique l’appartenance nationale de de cujus (c’est-à-dire la citoyenneté ou, selon le cas, son domicile ou sa résidence), l’endroit où les immeubles (ou le fonds de commerce) sont situés, la volonté du testateur matérialisée dans une clause d’electio juris, l’endroit de la conclusion, la modification ou la révocation du testament, le domicile du testateur.
En échange, n’ont aucune signification pour trancher le conflit de lois des circonstances telles que: la citoyenneté ou le domicile des héritiers du défunts, l’endroit où les biens meubles de la masse successorale sont situés, voire même le dernier domicile du défunt. Toutefois, nous souhaitons préciser dès maintenant que ce dernier élément est significatif pour résoudre le conflit de juridictions, c’est-à-dire pour établir la compétence internationale de l’instance ou, dans le cas de la procédure gracieuse, pour établir le notaire public compétent. Qui plus est, le dernier domicile du défunt en Roumanie constitue un facteur censé conduire à la compétence internationale exclusive des juridictions roumaines (art. 151, pt.6 de la Loi no 105/1992)
2. L’importance de la localisation juridique des successions internationales.
La matière des successions connaît des réglementations des plus différentes dans les législations des États du monde. Les principales différences de réglementation peuvent être remarquées concernant l’établissement des classes d’héritiers, y compris l’établissement de l’étendue des quotas
successoraux qui sont dus aux héritiers légaux, de la position de l’époux survivant, de l’existence de la nature et de l’étendue de la réserve successorale, des personnes incluses dans la catégorie des héritiers réservataires, de l’étendue de l’obligation des héritiers de supporter le passif successoral. Des différences peuvent apparaitre également en ce qui concerne la modalité et le moment de la transmission de l’actif successoral, les conditions,
les formes et les effets des dispositions pour cause de mort, l’établissement de la nature du droit de l’État sur la succession vacante etc.
A la différence d’autres institutions du droit privé — lesquelles connaissent de nombreuses codifications uniformes (notamment sur le plan européen) -, la matière des successions est restée, paraît-il, oubliée, étant laissée à la merci du législateur national. L’absence de réglementations matérielles uniformes pour les successions internationales pourrait avoir comme explication, en premier lieu, l’inexistence d’un lien direct entre le droit successoral et les objectifs économiques de la Communauté Européenne. D’ailleurs, en vue d’atteindre les buts de la Communauté, parmi les objectifs de celle-ci figure “le rapprochement des législations nationales dans la mesure réclamée par le fonctionnement d’un marché commun" (art.3, lettre h du Traité instituant la Communauté Européenne, - notre soulignement) Or, la réglementation unitaire des successions internationales n’a pas un impact direct sur le fonctionnement du marché commun, étant considérée -du moins jusqu’à présent - comme un objectif collatéral, moins pressant. En deuxième lieu, l’idée des codifications uniformes est accueillie parfois avec réticence et froideur de la part des États, surtout lorsque les normes unifiées sont significativement différentes du contenu des normes similaires nationales. Le renoncement à l’application de ces dernières est perçue comme une abdication de la tradition juridique nationale qui est à la base du contenu de la nonne, comme un renoncement au "Kultursgefiihl” national, sachant qu’”il n’y a pas en droit de formulation textuelle qui ne soit pas le produit d’une culture: extra culturam nihil datur,”. D’autre part, il ne faut pas oublier le fait que tant le statut réel immobilier, que le droit successoral représentent des domaines à haut degré de “charge émotionnelle", dans laquelle les orgueils font pleinement leur jeu, en sacrifiant plus d’une fois la logique et le rationnel, des domaines dans lesquels les États sont prêts, en général, à peu de concessions.
Voici donc pourquoi l’idée d’un jus europaeum en matière successorale est assez difficile à réaliser.
CHAPITRE I - LES SUCCESSIONS DANS LE DROIT INTERNATIONAL PRIVE SECTION I NOTIONS INTRODUCTIVES
SECTION II LA REGLEMENTATION DES SUCCESSIONS DANS LES LEGISLATIONS NATIONALES § 1. La diversité des conceptions nationales § 2. Des propositions d’unifications
CHAPITRE II - VUE D’ENSEMBLE SUR LE DROIT SUCCESSORAL INTÉRNE SECTION I LA TRANSMISSION DU PATRIMOINE SUCCESSORAL § 1. Généralités
§ 2. La transmission directe et immédiate du patrimoine successoral (le système français)
§ 3. La transmission directe et reportée (le système autrichien)
§ 4. La transmission indirecte et reportée (le système anglais)
SECTION II DISPOSITIONS POUR CAUSE DE MORT
§ 1. Testaments
1.1. Testaments stricto sensu
1.2. Testaments conjoints (réciproques)
§ 2. Contrats successoraux
SECTION III LA PROTECTION DES HERITIERS
§ 1. La réserve successorale
1.2. Particularités § 2. Family provision
SECTION IV LA PROTECTION DU PARTENAIRE SURVIVANT § 1. Droits du conjoint survivant § 2. Partenariats enregistrés
* * *
CHAPITRE I Les successions dans le droit international privé
SECTION I NOTIONS INTRODUCTIVES
La circulation de plus en plus intense des personnes, favorisée par le développement et la modernisation des moyens de transport, ainsi que l’accroissement du nombre d’unions entre citoyens de pays différents, auxquels s’ajoute souvent l’acquisition de biens sur le territoire de plusieurs États ont conduit au phénomène de l’internationalisation des successions.
Le droit international privé vise à apporter une réglementation adéquate aux relations juridiques privées qui présentent un caractère international. Le
caractère international résulte du fait que ces rapports, par certains éléments qu’ils comportent, entrent en contact avec plusieurs ordres juridiques. Ces rapports juridiques impliquent une confrontation de plusieurs systèmes juridiques, chacun de ceux-ci se prétendant compétent à régir le rapport en question exclusivement. Le rôle du droit international privé est d’élaborer les principes selon lesquels sont réglés les conflits de lois dans l’espace, la norme de conflit ayant à désigner la loi compétente parmi les lois trouvées en conflit.
Concernant les successions internationales, l’élément d’extranéité peut relever soit des sujets du rapport juridique (nationalité, domicile, résidence),
47 Selon les estimations, rien que dans l’Union Européenne, le nombre des successions internationales se situe entre 50 000 et 100 000 par an (statistique publiée dans Les Successions Internationales dans l’UE. Perspectives pour une Harmonisation, publié sous l ’Egide Dnotl - l'Institut Notarial Allemand, Wurzburg, 2004, p. 28-29).
48 Par exemple, la succession mobilière d'un citoyen roumain domicilié en France
soit de l’objet de celui-ci (l’endroit où certains biens se situent) (49), soit encore de la source du rapport juridique (l’endroit de la conclusion d’un acte juridique etc.) (50).
SECTION II
LA RÉGLEMENTATION DES SUCCESSIONS DANS LES LÉGISLATIONS NATIONALES
1. La diversité des conceptions nationales
Les difficultés rencontrées par les protagonistes d’une succession transnationale sont dans la plupart des cas liées à la divergence entre les normes de droit matériel, de procédure, ainsi qu’à la non-concordance entre les règles de conflit des lois qui régissent cette matière dans les États membres. Cela parce que, plus peut-être que le droit de la famille, le droit successoral constitue un domaine réservé aux règles et coutumes locales, un domaine dans lequel le souhait ou le besoin d’unification semble être tout au plus modéré.
Dès lors que les normes légales relatives à ces aspects sociaux sont, dans une mesure plus grande que dans d’autres matières, déterminées et dictées par des valeurs morales et culturelles, il paraît qu’il y a peu de principes généraux applicables en la matière, en conséquence, pas question de ius commune. Donc, tant la faisabilité, que le souhait d’unification sont souvent mis sous le signe du doute. Étant donné les racines profondes dans les valeurs sociales et culturelles d’une société, on estime que le droit de la famille et le droit successoral devraient rester des domaines réservés au droit national.
Pourtant, dans la doctrine récente on estime que cette approche traditionnelle devrait être réexaminée. Le droit de la famille comme un ensemble subit une permanente émancipation, dépassant les frontières et intégrant des idées et des
concepts nouveaux et modernes.
Il est essentiel que le droit successoral soit qualifié comme une branche distincte par rapport au droit de la famille, vu les aspects notamment patrimoniaux qu’il comporte. Entre ces deux matières il y a des différences importantes, le but principal du droit successoral étant représenté par la définition des nonnes de la dévolution successorale, ainsi que par la réglementation de la transmission successorale elle-même, alors que l’objectif du droit de la famille est l’établissement des rapports juridiques sur le mariage et la vie de famille, la filiation et l’état civil des personnes. Sa fonction sociale essentielle est de protéger les liens familiaux. En outre, à la différence du droit de la famille, dans lequel la volonté des personnes n’occupe qu’une place secondaire, la plupart des rapports étant réglementés par des normes d’ordre public, dans le cadre du droit successoral la volonté du titulaire des droits occupe une place importante. Par conséquent, ces deux branches du droit civil sont suffisamment autonomes pour être abordées individuellement.
2. Des propositions d’unification
L’importance des successions transfrontalières dans le cadre de l’Union Européenne et la diversité des systèmes de conflit de juridictions et de conflit des lois dans ce domaine ont justifié la recherche d’une hannonisation de cette matière dans les États membres, vu que la fragmentation des successions qui peut résulter de ces normes divergentes constitue un obstacle sur la voie de la libre circulation des personnes dans l’Union; les citoyens européens sont confrontés à présent à d’importantes difficultés dans l’exercice de leurs propres droits, dans le contexte d’une succession internationale, ces normes différentes empêchant l’exercice plénier du droit de propriété privée.
Pour ces raisons, on a pris au niveau européen des mesures en vue de l’harmonisation des règles successorales par l’adoption d’un règlement européen en cette matière. A cette fin, à la demande de la Commission Européenne, a eu lieu une ample consultation des États membres, des autres institutions et du public. La Commission a reçu une ‘’étude sur les successions internationales dans l’Union Européenne”, réalisée par l’Institut Notarial Allemand en novembre 2002. A la suite de cette étude, en 2005 a été publié Le Livre vert de la Commission sur les successions et les testaments, document dans lequel figurent les conclusions de l’étude.
Les réponses reçues confirment la nécessité d’un instrument communautaire dans ce domaine et soutiennent l’adoption de propositions susceptibles de couvrir, entre autres, les aspects liés à la loi applicable, la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires, ainsi que la création d’un certificat européen d’héritier.
L’adoption d’un instrument de ce genre a reçu le soutien du Parlement Européen et du Comité Économique et Social Européen.
Par conséquent, le Parlement Européen et le Conseil de l’Union Européenne ont adopté le 14.10.2009 la proposition de règlement relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires et des actes authentiques en matière de successions, ainsi que la création d’un certificat européen d’héritier (Rome IV). La proposition a comme objectif l’élimination de tous les obstacles contre la libre circulation des personnes, issus des différences entre les normes qui réglementent les successions internationales dans les États membres, son but étant de permettre aux personnes ayant la résidence dans l’Union Européenne d’organiser à temps la succession et de garantir efficacement les droits des héritiers et/ou des légataires, d’autres personnes ayant des relations avec le défunt, de même que ceux des créditeurs successoraux.
CHAPITRE II Vue d’ensemble sur le droit successoral intérne
Les principales différences de réglementation en matière successorale dans la législation des États du monde peuvent être remarquées concernant la modalité de transmission du patrimoine successoral, le mode de création des classes d’héritiers, la position de l’époux survivant, l’existence, la nature et l’étendue de la réserve successorale, la responsabilité des héritiers.
SECTION I LA TRANSMISSION DU PATRIMOINE SUCCESSORAL
1. Généralités
Concernant le transfert de l’actif successoral, sont utilisés deux critères pour distinguer entre trois systèmes successoraux différents : le premier critère vise la modalité dans laquelle le patrimoine est transmis (par exemple, respectivement, de manière directe aux héritiers, sans aucune personne
intermédiaire ou de manière indirecte, le transfert du patrimoine étant réalisé par un intermédiaire); le deuxième aspect vise le moment de la transmission du patrimoine successoral, c’est-à-dire de l’obtention de la propriété par les héritiers, à savoir : immédiatement, au moment du décès de de cujus (à la date de l’ouverture de la succession) ou bien à un moment ultérieur.
Ainsi, les trois systèmes successoraux sont : 1. Le système français, caractérisé par le transfert direct et immédiat envers les héritiers; 2. Le système autrichien - le transfert direct, mais reporté du patrimoine successoral; 3. Le système anglais -transmission indirecte et reportée.
Du point de vue de la responsabilité des héritiers, on distingue également trois systèmes :
1. Le système français, qui tend vers une responsabilité illimitée, ultra vires hereditatis; 2. Le système allemand, qui réglemente en principe la responsabilité limitée (à l’actif successoral) des
héritiers; 3. Le système anglais, dont la spécificité consiste dans la responsabilité strictement limitée (en réalité, la responsabilité des héritiers ne peut être engagée, vu que seul l’actif successoral leur est transmis, le passif étant liquidé lors d’une étape antérieure)
1. La transmission directe et immédiate du patrimoine successoral (le système français)
Le patrimoine successoral est transmis à chacun des héritiers directement et immédiat, en vertu de la loi (ex lège); le système est également consacré en Roumanie, en Belgique, aux Pays-Bas, en Grèce, en Allemagne, enSuisse.
Pour que le transfert du patrimoine successoral opère, aucune initiative des héritiers légaux ou testamentaires n’est demandée; ceux-ci gardent la faculté d’accepter ou de répudier l’héritage, mais l’acceptation n’a que le rôle de confirmer la transmission successorale qui a eu lieu et par là le fait de s’approprier la qualité d’héritier.
L’acceptation implique la responsabilité des héritiers. A cet égard, le système français tend vers une responsabilité illimitée, ce qui signifie que les héritiers sont censés répondre y compris avec leur propre patrimoine. La responsabilité est pourtant limitée au cas des successeurs incapables et/ou mineurs, pour des raisons de protection ou bien dans l’hypothèse de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire, par la volonté du successeur. Par exception, le système successoral allemand consacre en tant que règle la responsabilité intra vires hereditatis, visant à protéger le propre patrimoine des héritiers.
La dissociation entre la propriété et la possession des biens successoraux est également caractéristique pour le système français. Le mécanisme de la saisine autorise certains héritiers légaux à entrer dans la possession des biens successoraux, alors que d’autres
héritiers, également propriétaires des biens successoraux, n’ont pas ce droit, étant amenés à réclamer en justice l’envoi en possession. La saisine peut être retrouvée, également, dans les systèmes belge et néerlandais. En échange, cette institution n’est pas connue en Allemagne, Suisse, Grèce; dans ces derniers systèmes de droit, chaque successeur légal ou légataire acquiert aussi ipso iure le droit d’entrer en possession de la succession, bien que les effets de la possession soient limités par 1 a théorie du certificat d’héritier (Erbschein), qui impose à chaque héritier de faire la preuve de sa qualité.
2. La transmission directe et reportée (le système autrichien)
Bien que le patrimoine soit transmis directement aux héritiers (donc non pas par une personne intermédiaire), le moment de la transmission ne coïncide pas avec celui de l’ouverture de la succession, mais il est ultérieur, à l’initiative de l’héritier, ayant la signification de l’acceptation de l’héritage (aditio hereditatis).
En Italie et Espagne, également des adeptes de ce système, l’acceptation peut être également implicite (tacite). En Autriche l’acceptation est pourtant subséquente à l’accomplissement d’une autre formalité (impérative), à savoir celle de s’adresser à une instance de jugement en vue de la prononciation d’une décision qui transfère la succession envers l’héritier (par.799 C.civ. autrichien) L’envoi en possession judiciaire (Einantwortung) est, donc, la condition pour l’obtention définitive de la succession, alors que la date de la transmission du patrimoine sera celle du prononcé de l’instance.
Le grand désavantage de ce système c’est de ne pas pouvoir expliquer le vide créé entre le moment de l’ouverture de la succession et celui de la transmission de celle-ci comme effet de la décision de l’instance (hereditas jacens). Au cours de cette période, le patrimoine successoral devra être administré par un curateur ou par l’un des héritiers. D’autre part, l’avantage que présente l’intervention de la justice spécifique du système autrichien c’est que le transfert de la succession a lieu d’une manière contrôlée et organisée. Ce système ne connaît ni ne nécessite l’institution de la saisine.
Concernant la responsabilité des héritiers pour les dettes de la succession, ces pays suivent l’exemple de la France, leur tendance étant à la responsabilité illimitée, en principe. Les héritiers ont également la possibilité d’opter pour l’acceptation sous bénéfice d’inventaire.
3. La transmission indirecte et reportée (le système anglais)
Les successeurs légaux et testamentaires doivent suivre une procédure judiciaire et attendre le paiement des dettes successorales avant le transfert envers eux de l’actif successoral.
Le patrimoine successoral est transmis d’abord provisoirement à un représentant personnel (personal représentative), à la date de l’ouverture de la succession, par l’intermédiaire d’une procédure judiciaire (probate procédure). Cette première transmission, spécifique du processus de l’administration de la succession, est régie par la lex forfà. La fonction de représentant personnel peut être accomplie par 1’ »exécuteur testamentaire (executor) institué par de cujus ou, en son absence, par l’un des héritiers désignés par l’instance (administrator).
Le représentant personnel devient le propriétaire de la succession, mais ses prérogatives ne sont pas illimitées, vu qu’il agit sous contrôle judiciaire ayant la tâche de dresser l’inventaire de la succession, de payer les dettes successorales (ayant à cette fin la possibilité de procéder à la vente des biens successoraux) et de répartir les biens restés entre bénéficiaires.
Au cours de toute cette période, les héréditaires et les légataires ont la qualité seulement de créditeurs de l’actif successoral net, qualité dans laquelle ils peuvent introduire des instances contre l’exécuteur testamentaire pour non-accomplissement adéquat des obligations qui lui incombent.
Après la liquidation des dettes et rétablissement de l’actif net de l’héritage, commence à opérer le deuxième transfert du patrimoine successoral, vers les héritiers légaux et testamentaires. Ce transfert patrimonial est régi par la lex successions (succession procès). L’objet de la transmission successorale est limité à l’actif net, les dettes étant liquidées lors de la première étape, raison pour laquelle la responsabilité des héritiers est strictement limitée.
SECTION II DISPOSITIONS POUR CAUSE DE MORT
La plupart des pays admettent la possibilité pour une personne d’organiser la dévolution des biens qu’elle laissera à son décès par testament. Pour la validité de cet acte, toutes les législations nationales imposent le respect de certaines formes : ainsi, la disposition devra revêtir des formes solennelles (l’intervention d’une autorité publique, par exemple) ou très simples, comme c’est le cas du testament olographe.
Sur le plan du droit comparé, les divergences les plus prononcées portent sur la nature de l’acte : si toutes les législations acceptent que la volonté du disposant soit exprimée par un acte unilatéral, essentiellement révocable (le caractère unilatéral ayant pour but de protéger la liberté du disposant), s'agissant du testament stricto sensu, certaines d’entre elles seulement autorisent l’organisation de la succession par contrat, acte qui, le plus souvent, ne peut être modifié ou révoqué qu’avec l’accord des deux parties.
1. Testaments
1.1. Testaments stricto sensu
Ainsi, en ce qui concerne l’acception stricto sensu, on peut distinguer plusieurs types de testaments : le testament olographe, celui assisté par des témoins, le testament secret ou mystique et celui authentique (notarial ou public). Certains Etats ont ratifié la Convention de Washington de 1973 , laquelle crée le testament international, en introduisant ce type de testament dans leur droit interne.
Le testament olographe doit être écrit entièrement par la main du testateur et signé personnellement par celui-ci. Il est reconnu dans la plupart des pays européens, mais les exigences formelles qui lui sont caractéristiques ne sont pas appliquées partout avec la même rigueur.
Il n’est pas admis aux Pays-Bas et au Portugal, où est imposée la forme authentique dans tous les cas, étant donné que l’intervention d’une autorité (le notaire public) est nécessaire, ni dans les juridictions common-law (Grande-Bretagne, Irlande); le trait spécifique de ces dernières est le testament assisté par des témoins (witnessed wilt). Celui-ci peut être écrit personnellement par le testateur, dactylographié voire écrit par la main d’une tierce personne. Dans ce cas sont essentielles seulement la présence simultanée de deux témoins au moment de la signature du testament, la confirmation de la signature du testateur et la signature du testament par ceux-ci. Un modèle similaire de testament se retrouve en Autriche et au Danemark.
Le testament secret ou mystique, écrit par la main du testateur ou d’un tiers ou dactylographié et signé par le disposant, doit être introduit dans une enveloppe qui sera ensuite scellée, en vue d’être présentée à un notaire public, en présence de témoins. Ce type de testament est connu dans des pays comme le Danemark, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne. Certains de ces pays reconnaissent également le testament international créé par le Traité de Washington du 26 octobre 1973.
D’autres pays, par exemple la Belgique, ont remplacé le testament mystique par celui international. Il y a, finalement, le testament authentique (public), dans la plupart des pays rédigé par un notaire et signé personnellement par le testateur. En Autriche, il peut aussi être fait oralement, devant une instance judiciaire. En général, la présence de témoins est également nécessaire dans le cas de ce type de testament.
Comme une particularité, le droit autrichien autorise également le testament verbal. Celui-ci suppose que la volonté de de cujus est déclarée en présence de’ trois témoins. Ce type de testament pose néanmoins certains problèmes dans la pratique : si le testament est contesté ultérieurement, après l’ouverture de la succession, les trois témoins doivent confirmer le testament sous serment. Si leurs déclarations ne sont pas entièrement concordantes ou si elles sont contradictoires, le testament sera invalidé. Ce type de testament est également admis dans le droit suisse, mais dans le cas seulement de certaines circonstances exceptionnelles qui empêchent le testateur d’avoir recours à une autre forme de testament, en particulier en cas de danger de mort imminente, d’épidémie ou de guerre. Dans ce cas, également, le testateur doit déclarer ses dernières volontés simultanément devant deux témoins, qu’il charge de la rédaction ultérieure de l’acte juridique.
1.2. Testaments conjoints (réciproques)
Dans le droit autrichien, les époux peuvent s’instituer mutuellement héritiers par un seul testament ou peuvent instituer ensemble un tiers en tant qu’héritier. Le testament réciproque est valable aussi s’il est rédigé par des personnes fiancées, à la condition du mariage subséquent. Il peut être conclu dans n’importe quelle forme de testaments stricto sensu, à l’exception de celui oral et il est également révocable.
La loi successorale allemande permet à son tour aux époux ou partenaires de vie — même du même sexe — de conclure des testaments de ce genre. Il peut être rédigé en forme notariale ou olographe : dans ce dernier cas, il suffit que le testament soit écrit par la main de l’un des époux ou, selon le cas, des
partenaires et signé seulement par l’autre. Si la procédure de divorce a été démarrée, le testament commun est révoqué entièrement ex lege%°. Le plus remarquable aspect de ce type de testament consiste dans le fait que les dispositions comprises dans ces testaments produisent des effets juridiques dans le cas seulement ou l’autre époux (pour sa part) stipule également, à son tour, les mêmes dispositions en faveur du premier. Ces dispositions sont dénommées réciproques. L’invalidation ou la révocation unilatérale d’une telle disposition réciproque révoque automatiquement la clause correspondante la prévision de l’un des testateurs ayant sa cause dans la clause de l’autre. De même, les dispositions réciproques peuvent être révoquées ensemble par les époux. Le droit de révocation subsiste durant toute la vie des époux.
Une forme standardisée de testament commun est le testament dit berlinois (Berliner Testament'f’. Par lui, les époux se déclarent mutuellement héritiers (chacun l’héritier de l’autre), en ajoutant qu’après la mort de l’époux survivant, la fortune réunie (les patrimoines des deux époux) reviendra à une tierce personne, d’habitude l’enfant commun. Un testament de ce genre garantit au descendant l’héritage, mais ne les protège pas face aux actes de disposition faits par l’époux survivant durant sa vie sur la fortune commune. Il est considéré désavantageux du point de vue fiscal, également, vu que la taxe d’héritage due est augmentée, étant donné qu’un transfert successif des biens a lieu.
Au Luxembourg, les testaments communs sont interdits expressément. La règle est plutôt formelle, interdisant d’inclure dans le même document des dispositions testamentaires appartenant à deux personnes différentes. Les testaments identiques, “dans le miroir”, sont en principe permis, tant qu’ils sont compris dans des actes différents, n’étant prévue aucune clause qui stipule que les testaments sont connexes au point d’être considérés comme interdépendants, de sorte qu’aucun ne peut être révoqué de manière unilatérale. Ces derniers seront considérés comme des testaments communs du point de vue matériel et seront invalidés, non pas parce que ne respectant pas la règle formelle prévue par
l’art. 968 LCC, mais plutôt pour le fait de transgresser le principe fondamental de la révocabilité des testaments.
Les testaments conjoints sont également prohibés dans des pays comme la Roumanie, la France, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal, étant apprécié en général qu’ils ne respectent pas le principe fondamental de l’expression libre de la volonté du testateur. En général, il a été opté pour la prohibition de ces testaments vu qu’il est difficile d’établir si, après le décès d’un testateur, le testament pourrait oui ou non être révoqué par le survivant. Permettre de le révoquer signifierait la violation de la confiance mutuelle, alors que le déclarer irrévocable, signifierait modifier la nature du testament d’acte des dernières volontés. Le caractère révocable du testament étant hors toute question, il ressort que le but poursuivi par l’interdiction du testament conjoint est d’empêcher que la bonne foi de l’un des testateurs soit surprise à la suite de la révocation émanant ultérieurement de l’autre, sans qu’il le sache. Sous ce jour, les dispositions légales interdisant le testament conjoint sont interprétées de manière restrictive, le testament étant considéré conjoint au moment seulement où du point aussi bien matériel qu’intellectuel il réunit deux actes de ce genre en un seul.
Ces prohibitions sont considérées comme tenant compte de la forme des testaments, de sorte que le testament conclu dans un pays qui n’interdit pas cela (l’Allemagne, la Norvège) est valable et peut produire des effets en Roumanie, conformément au principe locus régit actum, même s’il a été conclu par deux citoyens roumains.
2. Contrats successoraux
Concernant les successions contractuelles, certains pays interdisent, à titre de principe, toute forme de pactes sur les futures successions, afin de protéger la liberté du disposant.
Les pactes successoraux sont des contrats conclus entre deux ou plusieurs personnes, successibles ou tiers, censés régir, de manière définitive et avec anticipation une ou plusieurs successions encore non
ouvertes. Le disposant s’engage à laisser à sa mort un ou plusieurs biens au contractant ou bien à un tiers désigné par ce dernier. En contrepartie, son partenaire contractuel accepte de renoncer d’avance et valablement à la succession.
Dans les Etats où ces pactes sont prohibés, cette interdiction couvre les pactes relatifs à la succession non ouverte d’un tiers et à celle d’un des contractants. Sont ainsi prohibées normalement toutes dispositions pour cause de mort qui visent une partie ou l’ensemble du patrimoine successoral, par lesquelles sont institués des héritiers (légataires) ou ayant comme objet des legs, donations mortis causa, institutions contractuelles ou le renoncement à une certaine succession avant le décès de la personne de l’héritage duquel il est question. La plupart de ces États permettent pourtant des dérogations au cas des dispositions comprises dans des contrats de mariage ou dans l’intérêt de la famille (le partage ascendant).
De nombreux États, par contre, admettent l’oiganisation contractuelle de la dévolution successorale. Certains d’entre eux n’autorisent que les dispositions sur des biens particuliers (individuellement établis), auquel cas il s’agit d’une donation mortis causa alors que d’autres États admettent la dévolution de l’universalité du patrimoine, soit par contrat, soit par testament conjoint.
Parmi ces systèmes qui admettent - partiellement ou totalement - les pactes sur les futures successions, il convient de faire une distinction fondamentale : certains systèmes voient dans ces actes un véritable contrat, qui lie le disposant et lui interdit la révocation des dispositions en question sans l’accord de son cocontractant, alors que certains autres , en vue de protéger la liberté de de cujus de disposer de ses biens, décident que ces actes mortis causa restent révocables, selon la volonté du disposant. Dans la situation où ce type de dispositions pour cause de mort sont admises et considérées irrévocables, le
formalisme prévu est en général très strict, en raison des conséquences qu’il présente.
Ainsi, le droit autrichien (1249 ABGB) admet le contrat successoral à condition seulement qu’il soit conclu entre époux, sous forme authentique. Ce contrat ne saurait être révoqué unilatéralement, mais seulement mut tus dissensus. Les parties ne sont pas empêchées, néanmoins, de disposer de leurs biens durant toute leur vie, par des actes inter vivos. En outre, la loi prévoit une limitation concernant l’objet du contrat : un quart de la fortune de chaque époux doit rester intact; ainsi les époux peuvent disposer par contrat de trois quarts au maximum de leur fortune. Le contrat est en principe invalidé dans l’hypothèse du divorce des époux, mais l’époux qui n’est pas coupable garde son titre d’héritier découlant du contrat en relation avec l’autre époux.
En Allemagne, le contrat successoral ne peut être conclu que par le testateur personnellement et dans la forme authentique seulement. Par un contrat de ce genre, l’une des parties ou toutes les deux peuvent disposer de leurs biens pour cause de mort. Les dispositions contractuelles ont un régime juridique similaire à celui des dispositions réciproques comprises dans les testaments communs. Le contrat successoral ne limite pas dans la législation de cet État non plus le droit du testateur de disposer de ses biens pendant sa vie. Ainsi, le bénéficiaire ne détient aucune garantie sur la valeur de l’héritage à la date du décès du disposant, la prise par lui de mesures supplémentaires de protection étant souhaitée. L’acte peut être révoqué d’un commun accord par les parties et de même de façon unilatérale par le testateur, mais dans ce dernier cas seulement si le potentiel bénéficiaire entreprend un acte d’indignité qui permettrait au testateur de l’exclure de l’héritage légal.
Dans le droit suisse, le pacte successoral doit être également conclu sous forme authentique (art. 494 C.civ.); il se présente sous deux formes : le pacte successoral attributif, contrat par lequel l’une des
partie institue l’autre partie en tant qu’héritier ou légataire et le pacte successoral abdicataire, contrat par lequel un héritier renonce à titre onéreux ou gratuit, à la totalité ou bien à une partie de ses droits sur la succession de son cocontractant. On estime que ce contrat lie le disposant dès le moment de sa conclusion, en régissant le statut successoral des biens de celui-ci comme si la succession s’ouvrait à ce moment-là .
SECTION III LA PROTECTION DES HÉRITIERS
1. La réserve successorale
La plupart des systèmes juridiques réglementent la protection des parents proches du défunt que celui-ci a souhaité éliminer de son héritage. Cette protection revêt souvent la forme d’une réserve successorale, mais ce mécanisme n’est pas unanimement reconnu. La liberté d’une personne de disposer de ses biens par testament est limitée dans la plupart des systèmes légaux continentaux par le mécanisme traditionnel de la réserve successorale. Ces États défendent la notion de réserve, en appréciant que l’héritage n’appartient pas exclusivement au disposant, mais aussi, dans une certaine proportion, aux membres de sa famille, qui ne sauraient être privés de la totalité de l’héritage.
Le plus souvent, les réservataires sont les enfants et les descendants, en l’absence des premiers et parfois l’époux survivant Vu que la simple désignation en tant qu’héritiers ne suffit pas pour protéger les réservataires dans la situation où de cujus ne laisse pas de biens à sa mort, dans le calcul de la réserve on tiendra compte de tous les actes à titre gratuit consentis durant la vie (le rapport des libéralités).
Dans les juridictions common-law, après que le droit de disposer mortis causa eût été illimité pendant quatre siècles, la liberté testamentaire a pris fin en
Grande-Bretagne et en Ecosse par l’adoption de l’Inheritance (Family Provision) Act 1938. Selon les dispositions de ce texte de loi, les personnes avec lesquelles l’auteur de la succession s’est trouvé dans des relations serrées (légales ou morales) pendant la vie peuvent prétendre certains droits sur l’héritage. Les instances judiciaires ont le pouvoir discrétionnaire d’accorder des family provision.
En dépit de certains traits communs à la réserve dans les systèmes continentaux, il y a de nombreuses différences de réglementation de cette matière dans les législations nationales. On peut constater, néanmoins, une évolution vers des principes généraux communs qui semblent gagner de plus en plus de terrain.
Ainsi, on peut constater une tendance commune à réduire le nombre d’ héritiers réservataires; les descendants sont des réservataires dans toutes les législations; souvent, l’époux survivant est également protégé. Par rapport à la réserve; le droit des ascendants à la réserve a été limité, voire même abandonné; les collatéraux privilégiés (les frères) bénéficient de la réserve très rarement et semblent en être exclus dans un nombre de plus en plus grand de systèmes légaux.
De même, le principe selon lequel la réserve est due en nature, en conférant un droit de propriété sur les biens successoraux a été abandonné par certaines législations. Ainsi, le Pflichtteil allemand ne représente-t-il qu’une créance pécuniaire auquel a droit le réservataire, celui-ci n’étant héritier du défunt, mais un simple créditeur successoral. Par conséquent, il n’a pas un droit de propriété sur les biens successoraux. De manière similaire, selon les réglementations néerlandaises récentes, l’héritier protégé par l’intermédiaire de la réserve est considéré comme un simple créditeur de la succession.
En France, la nature juridique de la réserve reste incertaine. L’art. 912 C. civ. prévoit qu’elle est la partie des biens et droits successoraux due, libre de
toutes charges, à des héritiers légaux (descendants et époux survivant); elle reste ainsi une part de la succession et non point une créance contre celle-ci. Toujours est-il que l'affirmation des principes de l’égalité en valeur dans le cadre du partage et de la réduction en valeur des libéralités excessives peut être comprise comme une atténuation de la règle selon laquelle la réserve est une fraction de l’héritage.
La loi belge applique encore la traditionnelle réserve napoléonienne en nature, laquelle confère un droit de propriété sur les biens successoraux. L’expérience du système prouve que ce principe est obsolète, étant confronté à certains problèmes pratiques et menant très souvent à des résultats inéquitables pour certains cohéritiers. La Roumanie, l’Italie et le Luxembourg sont également adeptes de la même conception.
1.2. Particularités :
Dans le droit autrichien, les descendants et l’époux survivant sont considérés comme des participants à la valeur de la fortune successorale, bénéficiant en conséquence de la réserve. Les héritiers réservataires peuvent néanmoins être déshérités pour des raisons solides, dont la négligence grave dans l’accomplissement des obligations de soin et entretien par rapport à de cujus ou le fait de commettre une infraction sur celui-ci, de manière intentionnelle et dont la sanction est une peine de plus d’un an de prison.
Comme une différence notable par rapport à d’autres législations, la loi autrichienne, par l’introduction de l’égalité des droits successoraux pour les enfants nés hors du mariage, permet la possibilité de réduire à moitié de l’étendue prévue par la loi le quota de la réserve due, pour les situations dans lesquelles entre de cujus et son descendant il n’y a pas eu une relation parent-fils naturelle ou suffisamment proche.
Dans le droit allemand, si de cujus a fait des donations à des personnes tierces les dix derniers jours de sa vie, en diminuant ainsi sa fortune, le réservataire peut solliciter aux héritiers l’augmentation du quota de réserve, comme si les biens donnés faisaient partie de la succession (s. 2325 BGB). Dans cette situation, les héritiers ne peuvent pas demander
des dédommagements aux tiers donataires.
Dans le droit italien, la réserve est due en nature, en appréciant qu’elle crée un droit réel (in rem). Les héritiers réservataires sont: l’époux survivant, les enfants et leurs descendants et les parents.
Dans le droit luxembourgeois, ne sont héritiers réservataires que les descendants, et leurs enfants, s’ils viennent à l’héritage par représentation (art. 914 C.civ.). Ainsi, dans le cas où de cujus ne laisse pas de descendants, la liberté de disposer de ses biens par testament ou par des libéralités en général est illimitée.
Aux Pays-Bas, la réserve constitue une créance contre la succession, donnant droit à une somme d’argent égale à la valeur de la moitié des droits successoraux prévus par la loi. D’habitude, le droit de l’héritier est directement exigible en argent. Cette exigibilité peut être néanmoins reportée jusqu’au décès du partenaire de vie de de cujus. La prescription du droit de solliciter sa réserve survient dans cinq ans à partir de l’ouverture de la succession. Selon la législation antérieure, le réservataire devenait héritier et avait le droit de recevoir sa part légitime en nature.
En Espagne, les héritiers réservataires sont les enfants et leurs descendants, les parents et les ascendants et l’époux survivant, ce dernier ayant seulement un droit d’usufruit (art. 806 et suivants C. civ.).
En Suède, le droit d’une personne de disposer par testament est limité par la règle base amount, qui s’applique en relation avec l’époux survivant et les règles relatives à la réserve, en relation avec les descendants.
2. Family provision
La législation en vigueur permet à l’instance de disposer, à la demande d’une personne intéressée, de manière discrétionnaire, qu’une partie des biens successoraux revienne à certaines classes de personnes, qui ne sont pas nécessairement parents de de cujus, auxquelles celui-ci n’a pas laissé (assez) de biens par testament. Les raisons pour lesquelles de cujus les a exclues de son héritage n’intéressent pas, vu que ce n’est pas de cujus qui doit être jugé, mais la disposition sur son patrimoine.
Ce droit reconnu à l’instance de jugement est l’équivalent en Grande-Bretagne de la réserve dans
les systèmes de droit continental, mais en même temps il en est très différent.
Family Provision s’applique également dans la situation où la loi (au cas d’un héritage ab intestat) ne confère pas (assez) de biens successoraux à certaines personnes qui se trouvaient à la charge de de cujus pendant sa vie ou bien auxquelles celui-ci apportait son aide financière.
Selon la section 1ère de la Loi de 1975, les classes des personnes qui pourraient bénéficier d’un avantage de ce genre sont: a) l’époux survivant; b) l’ancien époux de de cujus, d’un mariage antérieur, terminé par un divorce, à condition qu’il ne se soit pas remarié, c) un descendant de de cujus, y compris un enfant biologique et un enfant seulement conçu à la date du décès du testateur, d) toute personne qui bien qu’elle n’ait pas été l’enfant de de cujus, durant le mariage de celui-ci a été considérée ou reconnue par de cujus comme un enfant du mariage en question, e) toute personne qui avant la mort même de de cujus a été soutenue financièrement entièrement ou en partie par de cujus.
Il convient de remarquer que la sphère des personnes qui peuvent bénéficier de ce droit est beaucoup plus large que la sphère des héritiers typiques du système continental.
L’instance peut disposer en leur faveur soit des paiements périodiques soit une somme en argent globale, soit le transfert de la propriété sur des biens successoraux. Une requête en vue de l’attribution de tels droits doit être faite personnellement, dans un délai de 6 mois à compter de la date de l’ouverture de la procédure Grant of Probate^.
SECTION IV
LA PROTECTION DU PARTENAIRE SURVIVANT
1. Les droits de l’époux survivant
Les droits successoraux reconnus à l’époux survivant sont différents d’un pays à l’autre, dans certains systèmes ils peuvent être relativement modestes et il y a des Etats dans lesquels ces droits sont limités à l’usufruit des fruits et des revenus de la
succession (en Belgique, par exemple, si le défunt laisse aussi des descendants, c’est à l’époux survivant que revient l’usufruit de l’ensemble de l’héritage).
Dans certains pays, par exemple en Roumanie, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark, en Italie, au Portugal, en Grèce, l’époux survivant reçoit, dans toute circonstance et quels que soient les successeurs avec lesquels il vient en concours à l’héritage, un quota de la succession en sa complète propriété, étant héritier réservataire. L’étendue de ce quota est néanmoins différente en fonction du nombre des autres héritiers. Dans certaines législations, si de cujus ne laisse pas de descendants, l’époux survivant reçoit tout l’héritage.
En Grande-Bretagne, bien que l’époux survivant ne soit pas héritier réservataire (le système de droit anglais ne connaissant pas la réserve), la loi prévoit d’autres mesures de protection en sa faveur. Ainsi, si de cujus laisse un époux survivant et un ou plusieurs enfants, le premier va cueillir 125,000 livres sterling, sans que cette somme soit soumise à des impôts, ce qui représente un avantage incontestable, l’Inheritance Tax étant un quantum très élevé ou bien la valeur équivalente de la fortune après l’imposition, ainsi que les biens personnels de de cujus. L’époux est ainsi, selon les règles applicables à l’héritage ab intestat, l’héritier favorisé. L’époux survivant a droit à une partie plus grande de la fortune successorale s’il ne vient pas à l’héritage en concours avec les descendants de cujus. Pour hériter, néanmoins, l’époux survivant doit survivre kde cujus au moins 28 jours. Le droit successoral anglais accorde même à l’ancien époux de de cujus certains droits successoraux, à condition qu’il ne se soit pas remarié.
En Suisse, la succession est partagée automatiquement, ex lege de sorte que l’époux survivant acquiert tous les biens successoraux, ayant en même temps la tâche de supporter toutes les dettes successorales, alors que les enfants acquièrent une créance contre l’époux survivant, exigible au moment seulement du décès de celui-ci, dont le quantum est équivalent à leurs droits successoraux. La loi permet à l’époux survivant de solliciter dans
trois mois à compter de la date du décès de de cujus l’annulation du partage légal. Une annulation partielle de celui-ci n’est pas possible. Cette annulation doit être établie par acte notarial, suivie d’une inscription dans le registre des successions. Sous l’empire des anciennes dispositions en la matière, l’époux survivant n’était pas héritier réservataire.
Dans l’hypothèse où l’époux survivant se remarie, la loi accorde aux enfants de de cujus le droit de solliciter que le transfert des biens successoraux ait lieu plus tôt, pour éviter que lors du décès de celui-ci, les biens successoraux passent en propriété du beau parent (bien sûr, ce danger peut être prévenu également par l’époux survivant même, par testament).
En Suède, le droit d’héritage des enfants de de cujus est reporté jusqu’au moment de la mort de l’époux survivant, les premiers étant appelés héritiers secondaires de de cujus (du premier époux décédé). L’époux survivant a en principe le droit de disposer librement des biens successoraux acquis, mais non point par des actes mortis causa. Si de cujus laisse des enfants qui ne sont pas communs, ceux-ci ont le droit de recevoir tout de suite la part de succession qui leur incombe. L’époux n’est pas héritier réservataire.
En ce qui concerne la condition qu’à la date de l’ouverture de la succession le mariage fût valable pour que l’époux survivant puisse hériter, elle se retrouve dans le droit roumain, français, espagnol, luxembourgeois.
En Allemagne, dans la situation où la procédure pour le divorce a été démarrée, le quota qui incombe à l’époux survivant sera remplacé par un quota réduit et une action pour le paiement d’une pension alimentaire.
De manière similaire, dans le droit français l’époux survivant continue de bénéficier de la réserve dans la situation également où la procédure pour la séparation de corps ou pour le divorce a été démarrée.
En Italie, les droits de l’époux survivant subsistent dans le cas où ceux-ci ont été séparés par une décision judiciaire, à condition que la séparation ne fût pas causée par la faute de l’époux survivant. Dans ce dernier cas, si pourtant l’époux survivant n’a pas bénéficié d’une pension de la part de de cujus, ses droits sont maintenus, bien que la possibilité existe qu’ils soient réduits en rapport de la valeur de l’héritage, du nombre et de la qualité des héritiers.
Au Luxembourg, la loi prévoit que seule la personne qui à la date du décès de de cujus a été mariée à celui-ci est l’époux survivant; donc, si le divorce ou la séparation de corps (judiciaire) sont survenus, l’ancien époux n’héritera pas de de cujus. L’époux survivant n’est pas héritier réservataire.
2. Partenariats enregistrés
Le premier texte de loi relatif aux partenariats et au concubinage homosexuel reconnaissant à ces unions les mêmes effets juridiques que dans le cas du mariage a été adopté au Danemark, en 1989 (Loi no 372 du 7 jui9n 1989).
De manière similaire, aux Pays-Bas, ont été introduits le 1er janvier 1998 “les partenariats enregistrés”; les partenaires qui ont conclu des partenariats de ce genre ont les mêmes droits - y compris successoraux - que les époux.
De même, en Allemagne, à partir de 2001 les couples homosexuels sont assimilés du point de vue des droits successoraux aux couples mariés et peuvent donc hériter réciproquement. Le partenaire peut hériter même de toute la fortune si le défunt ne laisse pas de parents.
La France s’aligne sur ces réformes, en introduisant le concubinage organisé par la Loi no 99-944 du 15 novembre 1999 (PACS). A la suite de la réforme française de 2001, on reconnaît au concubin des droits successoraux.
Autres États qui reconnaissent des droits 1117/1994), la Norvège (Loi du 30 avril 1993), la
successoraux aux concubins sont la Suède (Loi no Belgique (Loi du 23 novembre 1998).