Si l'on devait ne retenir qu'une chose sur l'évolution du droit des successions et libéralités après les réformes récentes, c'est certainement celle-là qu'il faudrait mettre en lumière : le Code de 1804 avait enserré la volonté individuelle dans le carcan d'un ordre public successoral très poussé : recours fréquent au partage judiciaire, reposant sur une égalité en nature des lots tirés au sort, même en l'absence de contentieux (il suffisait qu'il y eut un incapable) ; institution d'une réserve héréditaire rigoureuse au profit des descendants et, à défaut des ascendants, conception extensive de la prohibition des pactes sur successions futures, hantise de voir revivre l'inaliénabilité des « biens de mainmorte » de l'Ancien Régime, à la faveur de substitutions, recours très fréquent à l'autorisation du tribunal, protection des époux contre leur propre générosité par l'affirmation que les donations qu'ils se font seraient toujours librement révocables, etc.
Sans doute, ce corps de règles contraignantes avait commencé à s'assouplir dans la seconde moitié du xxe siècle, avec le vaste mouvement législatif entrepris à la faveur de la stabilité gouvernementale résultant de la Constitution de 1958 ; en particulier, diverses mesures avaient permis de faire reculer la nécessité du partage judiciaire en présence d'incapables. Ces changements avaient cependant plus affecté le droit des libéralités que celui des successions ab intestat, puisqu'à l'aube du xxie siècle, le conjoint survivant continuait à être primé par les frères et sœurs du défunt. L'augmentation de la quotité disponible entre époux en 1963, les modifications très intelligentes apportées par la loi du 3 juillet 1971 au statut du rapport, de la réduction et des partages d'ascendants avaient permis d'améliorer considérablement le jeu des règles successorales quand elles avaient été aménagées par le recours à une libéralité.
Rien de comparable cependant avec l'importance des nouveautés introduites par les lois du 3 décembre 2001 et, beaucoup plus encore, celle du 23 juin 2006. L'idée fondamentale de cette dernière, c'est que la loi doit se faire très discrète quand elle rencontre un accord général du disposant et de ses héritiers présomptifs. La plus parfaite illustration est offerte par le nouveau statut des libéralités-partages, pactes de familles par excellence, puisqu'ils permettent à une personne ou un couple (généralement à l'âge de la retraite) de réaliser une anticipation successorale avec l'accord de ses héritiers présomptifs. En présence d'une chaîne de descendants, il est même possible, toujours dans la concorde générale, de réaliser un saut de génération : le fils s'efface et ses propres enfants reçoivent sa part . Bien d'autres illustrations de ce changement d'état d'esprit pourront être relevées tout au long de cette étude. C'est ainsi, par exemple, que la prohibition des substitutions fidéicom-missaires est à nouveau largement écartée, sous le nouveau nom de « libéralités graduelles » alors que le Code n'y dérogeait que de façon exceptionnelle et moyennant un luxe de précautions qui en rendait l'utilisation lourde et coûteuse . Un autre bon exemple est fourni par l'article 960, relatif à la « révocation » (disparition) des donations pour survenance d'enfants au donateur qui, jusque-là, n'en avait pas. Dans le système en vigueur depuis le Code civil, cette révocation était d'ordre public et jouait automatiquement, sans que le disposant lui-même puisse y faire obstacle. Désormais, c'est la seule volonté de ce dernier qui conditionne la disparition éventuelle de la libéralité : il doit s'être réservé la faculté d'en décider, par une clause expresse de l'acte et, le moment venu, est toujours libre de maintenir s'il le souhaite la donation qu'il avait consentie . On pourrait enfin relever l'instauration d'un mandat à effet posthume, par les articles 812 et suivants du Code civil . Par delà la mort, la volonté individuelle garde encore toute sa force (comme ce fut toujours le cas pour le testament) .