Textes : De la prohibition à une validité contrôlée. Un autre des dogmes du droit civil napoléonien était la prohibition de tels pactes. À la veille de la réforme de 2006, la loi continuait à l'énoncer à maintes reprises, sans crainte de se répéter : dans la matière des successions, puisque l'article 722, issu de la loi du 3 décembre 2001, pose le principe en termes généraux et que l'article 791 interdit à la fois de renoncer à une succession non encore ouverte et d'aliéner les droits éventuels qu'on peut y avoir ; dans celle des contrats et obligations, où l'article 1130, présente la prohibition comme une exception à la règle selon laquelle les choses futures peuvent être l'objet d'une obligation ; à propos du contrat de mariage, puisque l'article 1389 indique que, sous réserve des dispositions spécifiques aux donations entre époux, exceptionnellement autorisées, les conventions matrimoniales ne peuvent tendre à changer l'ordre légal des successions.
La loi du 23 juin n'a apporté à ces textes que des retouches légères, mais qui en modifient l'esprit, dans la continuité de changements déjà largement amorcés. Ce qui permet de dire que le principe a basculé : ces pactes ne sont plus nuls par principe ; ils sont au contraire valables, sauf là où un texte les déclare nuls. On va voir que l'annulation pour cause immorale y aurait alors généralement suffi. L'article 722 (dont la rédaction date de la loi du 3 décembre 2001 et qui est le texte le plus précis) ne dit pas autre chose : il dispose que « les conventions qui ont pour objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie d'une succession non encore ouverte ou d'un bien en dépendant ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par la loi ». L'article 790 ancien a disparu avec la réforme de 2006, sans que rien ne le remplace ; l'article 1130 s'est vu simultanément ajouter un fragment de phrase pour indiquer que de tels pactes ne sont possibles que « dans les conditions prévues par la loi ».
Raisons d'être du contrôle. La nullité se trouve amplement justifiée lorsque le pacte concerne la succession d'autrui, tant il est déplaisant de voir quelqu'un tabler ainsi sur une qualité d'héritier présomptif dont, en définitive, il ne pourra peut-être même pas se prévaloir le moment venu. De là à souhaiter la mort de son « oncle à héritage » (ou tout autre parent), il n'y a qu'un pas (c'est le votum mortis). Il est d'ailleurs souhaitable de protéger cet héritier lui-même lequel, si de telles opérations étaient possibles, ne manquerait pas de se faire gruger, soit par des individus sans scrupules qui le pousseraient à leur céder à bas prix les droits qu'il espère acquérir, soit par des parents qui arriveraient à le convaincre de renoncer à la succession de manière anticipée. La prohibition subsiste encore, quand celui à qui on doit succéder est d'accord pour qu'on dispose ainsi par avance de ce qu'il laissera.
Mieux, elle s'étend aux pactes par lesquels on engage sa propre succession. Comme le fondement ne peut plus être une déplaisante spéculation sur la fortune d'autrui, on l'explique alors traditionnellement par le désir de préserver la liberté de tester. On est théoriquement encore dans le cadre de l'ordre public successoral, mais la justification a tout de même moins de poids. Il n'est pas étonnant que ce soit ici que la prohibition ait vu ses applications se réduire au fil du temps.
Cela étant, il importe d'autant plus de délimiter avec précision le domaine de la prohibition, par rapport à des opérations voisines qui, elles, sont licites, que la jurisprudence applique la nullité de manière purement technique, en ne tenant aucun compte des mobiles : on a pu voir réprimer ainsi des opérations qui ne suscitaient nullement la réprobation. Comme l'a justement montré M. Grimaldi , le critère essentiel tient dans l'objet de l'acte interdit : tout ou partie d'une succession future, celle qui ne peut faire naître que des droits purement éventuels ; la notion de succession future se comprenant elle-même par référence à celle de succession ouverte : l'acte rend nécessaire que soit ouverte une succession qui ne l'est pas encore et qu'on dispose d'ores et déjà de son contenu. En ce qui concerne plus particulièrement le pacte sur sa propre succession, la Cour de cassation en tire donc cette conséquence qu'il n'y a véritable pacte sur succession future que si le disposant charge sa succession d'une obligation dont il n'était pas tenu de son vivant : c'est seulement en ce cas qu'il obère sa liberté de tester, ce qui est, nous l'avons vu, le fondement qui est assigné ici à la prohibition. En revanche, n'encourra pas la nullité, une obligation qui prend naissance du vivant du débiteur, même si le décès joue le rôle d'un terme (ou le prédécès, d'une condition) pour en fixer l'exigibilité : il y a alors simple pacte post mortem.
Principales applications de la prohibition. Elles aident à mieux comprendre les distinctions qui viennent d'être faites. Outre les hypothèses évidentes suggérées par le Code civil lui-même (renonciation à une succession non ouverte, aliénation à titre onéreux ou gratuit d'un ou plusieurs biens qu'on est appelé à recevoir en tant qu'héritier présomptif...), la jurisprudence a déclaré nuls les actes suivants :
- Fait pour le bénéficiaire d'une institution contractuelle permise de disposer de ses droits dans la succession future . Les auteurs sont d'accord pour regretter l'absence de nuances de cette position : l'annulation est justifiée, lorsque l'institué dispose de ses droits au profit d'un tiers (auquel cas, il fait réellement un pacte concernant ses droits futurs) ; rien ne la justifie, lorsqu'il se borne à renoncer à ces mêmes droits, puisqu'il rend alors au disposant la totalité de son droit à tester ou à ne pas le faire et rétablit ainsi l'ordre normal des choses.
- Rentes viagères temporaires. On entend par là (et l'expression peut tromper) une rente prévue pour une durée déterminée, mais qui sera susceptible de prendre fin de manière anticipée par le décès du crédirentier. La Cour de cassation analyse cette stipulation, comme conférant au débirentier le bénéfice d'une valeur qui aurait dû figurer dans la succession .
- Transmission aux héritiers de la caution de l'obligation de couverture. La doctrine et la jurisprudence estiment aujourd'hui que le cautionnement de dettes futures engendre deux obligations : celle de couverture : cautionner toutes les dettes présentant un certain caractère qui viendront à apparaître ; celle de règlement des dettes apparues. Lorsque la caution vient à mourir, la jurisprudence admet que le cautionnement des dettes déjà nées passe normalement aux héritiers, puisqu'ils recueillent le passif. En revanche, l'obligation de garantir les dettes non encore nées prend fin avec le décès et toute clause contraire est réputée nulle, comme constitutive d'un pacte sur succession future . Analyse dont l'exactitude a été mise en doute (l'héritier supporterait une charge qui pesait déjà sur son auteur) mais qui s'intégre dans la politique générale de la Cour de cassation qui souhaite protéger les cautions contre des engagements excessifs.
Exceptions à la prohibition. Elles sont prévues par l'article 722 lui-même ; de fait, la loi autorise, en les réglementant, certaines opérations qui seraient sans cela tombées sous le coup de l'annulation. Elles interviennent, en général, dans le cadre familial, au profit de proches, et sont alors justifiées par des intérêts supérieurs : il en est ainsi pour l'institution contractuelle, exceptionnellement autorisée entre époux (où la pratique la connaît sous le nom de « donation au dernier vivant ») , ou pour les donations-par-tages , etc. De manière plus ponctuelle, deux textes permettent aux héritiers présomptifs de se dépouiller par avance d'une action pourtant liée au futur règlement successoral : l'article 918, par lequel ils renoncent à faire valoir la présomption selon laquelle les ventes à successibles, assorties d'une réserve d'usufruit ou d'un paiement sous la forme d'une rente viagère, sont présumées donations déguisées ; l'article 934-4, aux termes duquel, lorsque le bénéficiaire d'une donation aura à son tour aliéné le bien, objet de la libéralité, avec l'accord du donateur et de tous les réservataires nés et vivants au moment où le donataire veut disposer à son tour, l'action en réduction éventuelle ne pourra plus être exercée contre les tiers acquéreurs.
La loi du 23 juin 2006 a considérablement élargi le champ de ces pactes successoraux autorisés, au point que l'exception a fini par supplanter la règle : c'est ainsi, on l'a déjà dit que la renonciation anticipée à l'action en réduction pour atteinte à la réserve est désormais autorisée sous certaines conditions, que l'autorisation de consentir des libéralités graduelles aboutit à revenir sur l'ancienne méfiance vis-à-vis des substitutions fidéicommissaires ; La dona-tion-partage voit semblablement son domaine prodigieusement élargi : réservée jusque-là aux libéralités consenties par un ascendant à ses descendants successibles, elle peut désormais bénéficier à tout héritier et aux descendants, qu'ils soient ou non héritiers .
Dans d'autres hypothèses, le législateur est intervenu pour briser une jurisprudence qui lui paraissait fâcheuse et valider certaines conventions : l'exemple le plus fameux est celui de la « clause commerciale ». On entend par là (parce qu'elle concerne en général l'entreprise familiale) la stipulation insérée dans un contrat de mariage, pour permettre au conjoint survivant de se faire attribuer, moyennant indemnité, un ou plusieurs biens appartenant personnellement au prédécédé. La Cour de cassation avait jadis estimé nulle cette stipulation, comme portant atteinte à la prohibition, alors qu'elle ne soulève évidemment aucune objection d'ordre moral : Il y avait même quelque paradoxe à voir ainsi annulé alors que le conjoint en payait le prix, un transfert qui eut été parfaitement valable s'il avait été prévu à titre gratuit (puisque les donations de biens futurs entre époux sont licites). Lors de la réforme des régimes matrimoniaux de 1965, la clause considérée a été validée par le nouvel article 1390 du Code civil.
De la même manière, le législateur a admis les diverses dispositions relatives au sort des parts d'une société lors de la mort d'un associé et, notamment, la continuation avec tout ou partie des héritiers (C. civ., art. 1870).
Il résulte enfin d'un revirement de jurisprudence réalisé en 1997, que désormais la clause de réversibilité d'usufruit, par laquelle le titulaire du droit démembré prévoit qu'à son décès, celui-ci se continuera sur la tête d'un tiers, n'est plus analysée comme un pacte sur succession future. La Cour de cassation, qui avait estimé dans un premier temps qu'il s'agissait d'une donation ayant un objet futur, comme s'exerçant dans la succession du premier titulaire qui ne l'avait jamais supportée, considère désormais qu'on est en présence d'une libéralité portant sur un droit présent, dont l'exigibilité est seule reportée . Le changement concernera essentiellement les réversibilités convenues entre concubins ou personnes étrangères, à qui cette stipulation était jusqu'à présent fermée ; en effet, elle avait toujours pu être introduite dans les donations entre époux, puisque alors, la donation de biens futurs ou institution contractuelle est exceptionnellement permise.